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Jean-Marc Toussaint

Emmanuel Rouget, l’héritier du chai

# Voyage gourmand# Les bons produits

# Bourgogne

Emmanuel Rouget est le seul vrai héritier du légendaire Henri Jayer, le pape de la viticulture bourguignonne. A Flagey-Echézeaux (21), il vinifie le pinot noir comme personne. Visite d’un domaine mythique qui a produit des vins parmi les plus cotés au monde.

Emmanuel Rouget est le neveu et l'héritier du pape de la viticulture bourguignonne, Henri Jayer.

 « Au printemps, on pratique la taille courte pour limiter les rendements, on réduit les traitements aux besoins et on laboure toujours le sol à l’aide un cheval pour restreindre le tassement et l’érosion. Un grand vin est d’abord conçu dans la vigne. La nature, c’est notre patronne, il faut la respecter », souffle Emmanuel Rouget en caressant une grappe de pinot noir dans les pentes du Cros-Parantoux.

Une parcelle mythique sur les hauteurs de Vosne-Romanée (21), achetée une bouchée de pain par son oncle, Henri Jayer, et qui produit aujourd’hui des vins parmi les plus cotés au monde (lire par ailleurs). « Il a été visionnaire. Depuis la crise du phylloxéra, la vigne avait disparu sur cette parcelle et pendant la guerre, on y cultivait encore des topinambours. Il l’a défrichée et travaillée jusqu’à lui donner ce formidable potentiel qu’on lui connaît aujourd’hui », raconte Emmanuel Rouget.

 L’homme est le seul vrai héritier du pape de la viticulture bourguignonne. Il se destinait à la mécanique. Mais un examen raté l’a orienté sur une autre voie. « C’était en 1976, j’avais 16 ans. Mon oncle avait besoin de bras pour la mise en bouteilles. Il m’a embauché pour les vacances. Finalement, je suis resté. »

 Elevage sur lie

Pendant 20 ans, Henri Jayer va tout lui apprendre, lui transmettre. Désormais, le disciple vole de ses propres ailes. Il cultive les vignes héritées de son oncle, mais aussi quelques parcelles acquises au fil du temps : 9 ha au total du passetougrain au grand cru Échézeaux, du Nuits-Saint-Georges Village au Flagey 1er cru. Une gamme large qu’Emmanuel Rouget travaille toujours selon les enseignements de son oncle. En récoltant le raisin à maturité, tout en respectant la trame acide du cépage, en le triant dès la vendange, en éraflant chaque grappe avec la précision d’un métronome « pour éviter les notes herbacées qui gâchent la pureté du pinot ».

En cave, Emmanuel Rouget pratique toujours la macération à froid à l’aide de glaces carboniques. Une technique développée par son oncle qui permet une transformation plus lente « pour renforcer la couleur, les arômes du vin et rendre les tanins moins âpres ».

Sur ce socle de connaissances, Emmanuel Rouget a greffé ses propres expériences avec passion et humilité. Ainsi, depuis une quinzaine d’années, pratique-t-il l’élevage sur lie durant 20 à 22 mois, selon les millésimes. En clair, il a abandonné le soutirage pour mieux conserver « la fraîcheur du fruit ». « On a également mécanisé tout le processus. Ça commence à la vigne avec l’usage d’une charrue hydraulique dotée d’un palpeur qui permet de réduire la casse sur les ceps et ça continue avec le matériel de pulvérisation ou de pressurage. D’une manière générale, le matériel est plus performant et les informations bien plus affinées, ce qui nous permet d’être plus efficaces que par le passé », estime-t-il.

Et de produire ces vins fins, élégants, racés, au fruit toujours intense et dont la complexité ne cesse de grandir avec les années.

Coup de cœur

Le mythe de la

viticulture bourguignonne

Né en 1922, Henri Jayer rêvait d’être aviateur. La guerre qui éclate en 1939, alors qu’il n’a que 17 ans en fera un vigneron. Ses deux frères sont mobilisés, il doit travailler. Parallèlement, il intègre la première promotion d’étudiants en œnologie à la faculté de Dijon en 1942. Un tournant dans sa vie. Il y rencontre René Engel qui l’incite à prendre quelques vignes en fermage.

Alors que l’après-guerre est à l’usage intensif de substances chimiques, Henri Jayer défend à contre-courant une autre vision de la viticulture, en réduisant les rendements, en prônant le labour contre les mauvaises herbes et en développant des pratiques nouvelles en cuverie, comme la macération à froid. L’homme a inspiré nombre de viticulteurs un peu partout en France qui ont joué un rôle considérable dans le retour aux bonnes pratiques viticoles. En 1996, il prend sa retraite et  transfère son vignoble à son neveu qui travaillait à ses côtés depuis 20 ans. Il a toutefois continué à produire des vins jusqu’en 2001, cinq ans avant sa disparition.

Des vins vendus à prix d’or

Tout a commencé en 2012, lors d’une vente aux enchères organisée par Christie’s à Hong-Kong. Un lot de douze bouteilles du Cros parantoux produit par Henri Jayer est adjugé 199 735 euros, soit 16 644 euros le flacon. Depuis une autre vente de 1064 bouteilles et magnums constituant le reliquat de la cave personnelle d’Henri Jayer, organisée à Genève au printemps dernier a atteint le chiffre record de 34,5 millions de francs suisses (29,7 millions d’euros). 

Le lot le plus cher, une série de quinze magnums de Cros Parantoux s’est envolé à 1,16  million de francs suisses, soit 66 751 euros le magnum ! Des prix insensés, d’abord liés à la rareté, mais avec lesquels le neveu de Jayer doit composer. « Sur les millésimes en vente actuellement, le prix du Cros Parantoux avoisine les 300 euros la bouteille » souligne-t-il. Mais les prix peuvent aussi très vite grimper.

Selon le classement établi chaque année par Wine Searcher, le plus important site de recherche de vins en ligne du monde, les Cros parantoux signés Emmanuel Rouget sont apparus plusieurs fois dans le Top 50 des vins les plus chers du monde, avec des millésimes pouvant dépasser les 2000 euros la bouteille.

Infos pratiques

  • Emmanuel Rouget
  • 18 route de Gilly
  • 21 640 Flagey-Echézeaux
  • Tel 03 80 62 86 61
Emmanuel Rouget, l’héritier du chai
Un reportage de Jean-Marc Toussaint