
Au milieu d’une végétation équatoriale luxuriante, Jean-Hubert François ouvre la double porte d’une imposante armoire métallique noircie par la fumée. A l’intérieur, sur des grilles, il y a du poulet, un gigot, du porc, des magrets de canard… Et au bas de l’armoire, un foyer alimenté par du charbon de bois, étouffé avec du pain humide et de la bagasse (Ce qu’il reste de la canne à sucre après l’extraction du suc). Cette manière de cuire la viande à basse température (entre 60 et 70 degrés) tout en la fumant s’appelle le boucanage, une pratique héritée des Amérindiens et encore très répandue en Amérique, dans les Antilles et les îles de l’océan Indien . La viande est toujours préalablement marinée dans une infusion d’eau vinaigrée, salée et poivrée pendant 24 h. Il faut ensuite compter 2 h pour cuire un magret de canard rosé, 4 heures pour un poulet, 5 heures pour un gigot…
« Cette technique de cuisson lente casse les fibres et permet à la viande de rester tendre et juteuse avec ce goût fumé caractéristique » souligne Antoine Zumélaro, le président des Toques Guyanaises. Dans cette région ultra-marine, couverte en grande partie de forêt, on boucane aussi le fruit de la chasse : les cochons bois, les agoutis, ou encore les iguanes qui peuvent être chassés en août, après la saison de ponte.
Poissons et bouillon d’awara
Le poisson est également très présent dans la cuisine guyanaise. On retrouve le vivaneau, réputé peu gras, l’acoupa rouge, endémique de cette région d’Amérique du Sud, mais aussi le « Jamais goûté », un poisson de rivière à chair très fine. Mais le plus étonnant est assurément l’atipa, un poisson préhistorique aux écailles ossifiées qui peut se déplacer à terre grâce à deux petites nageoires ressemblant à des pattes, d’où son nom. Pour accompagner viandes et poissons, les Guyanais mangent généralement du riz, des patates douces, des haricots rouges ou du couac (une semoule de manioc) servie avec du wassai (un fruit qui pousse à la cime des palmiers pinot). Dans les cuisines plus élaborées, la viande peut être servie avec des gnocchis de banane, un risotto de dachine ou un caladou, un plat à base d’épinard et gombos. Le tout agrémenté d’épices locales. Ce qui ne manque pas en Guyane.

Si le boucanage est l’un des piliers de la cuisine guyanaise, ce sont les fruits de la forêt amazonienne qui en font toute l’originalité. A commencer par l’awara, un petit fruit orangé, tiré d’une variété de palmier endémique. « A Pâques, les Guyanais se relaient pendant deux jours pour remuer toutes les dix minutes le bouillon d’awara où cuisent dans d’énormes faitouts du poulet boucané, du porc, des crevettes et des légumes »,raconte Johan Pardonipage propriétaire du Cejo, un restaurant bistronomique de Cayenne.
Des fruits et légumes cultivés par des Hmong originaires du Laos
Quelques produits maraîchers complètent le panier de la ménagère : avocats, patates douces, concombres, ramboutans, mangues, goyaves mais aussi des piments végétariens qui ont la particularité de ne pas être piquant. Autant de denrées le plus souvent cultivées par les Hmongqui sont à l’Indochine ce que les harkis sont à l’Algérie : des supplétifs de l’armée française. Arrivé en 1977 en provenance du Laos, ces réfugiés politiques ont fait souche dans la région de Cacao et alimentent aujourd’hui 70% du commerce de fruits et légumes de la Guyane.
On l’aura compris la cuisine guyanaise est plurielle, à la croisée de nombreuses cultures : amazonienne, antillaise, française, asiatique. Et l’on ne saurait finir un repas en Guyane sans une note sucrée. Pourquoi pas avec un blanc manger (un flan sucré), une crème de maïs ou une tarte à la confiture de goyave ?

Coup de cœur
Saint-Maurice, la dernière rhumerie de Guyane sur une nouvelle rampe de lancement

Originaire de Papouasie-Nouvelle-Guinée, la canne à sucre est introduite en Amérique latine par les Espagnols, dès la fin du XVIème siècle. La plante se repend rapidement sur le continent et son jus est distillé au Brésil pour produire la cachaça, dans les Antilles pour fabriquer le tafia…qui vont servir notamment comme monnaie d’échange dans la traite des esclaves.
En Guyane, la première distillerie de rhum s’ouvre dans la colonie pénitencière de Saint-Laurent-du-Maroni. D’autres suivent et en 1930, on dénombre trente rhumeries en Guyane. Mais en 1989, seule la rhumerie Saint-Maurice à Saint-Laurent-du-Maroni a su résister à la baisse des quotas de sucre et aux campagnes antialcoolisme. Héritage d’une famille d’origine bordelaise venue s’installer en Guyane au moment de la ruée vers l’or, au XIXème siècle, cette rhumerie crée en 1981 la marque « La Belle Cabresse », désignant une femme métissée, claire de peau.
Une fermentation de 36 à 48 h
Son rhum blanc qui bénéficie d’une IPG (Indication Géographique Protégée) représente aujourd’hui encore 90% des 700 000 litres produits annuellement, que complète une gamme de punchs prêts à consommer et des rhums vieillis dans d’anciens tonneaux de chêne précédemment utilisés pour le cognac ou le bourbon.
Pour se fournir en canne à sucre, l’entreprise fait appel à une quarantaine de petits producteurs et cultive elle-même 64 ha de terre récemment acquise, pour tenter de réduire les aléas climatiques. « Une année normale, on peut couper 10 000 tonnes de canne à sucre, mais s’il pleut trop durant la saison, la récolte peut chuter à 3500 tonnes, comme ce fut le cas en 2023 », précise Ludovic Jacob, directeur de la rhumerie.
La canne, coupée manuellement entre août et mars est ensuite déchiquetée, puis broyée pour extraire le vesou (le jus de canne) qui est ensuite filtré puis mélangé à des levures qui « vont manger le sucre » et le transformer en alcool. Une fermentation active qui dure entre 36 et 48 heures pour produire un vin imbuvable qui subit une distillation courte dans un alambic à colonne. L’entreprise rachetée en 2023 par le groupe martiniquais Bernard Hayot (GBH) envisage un développement sur deux axes, avec l’augmentation significative de sa production de rhum blanc agricole premium, mais aussi via la création de nouveaux produits plus qualitatifs, issus notamment de la distillation parcellaire.
La rhumerie Saint-Maurice se visite. Plus de renseignements au 05 94 34 09 09
















