
Romain Meder a été l’un des pionniers de la naturalité en cuisine. Au Plaza Athénée, quand il était le chef exécutif d’Alain Ducasse, il avait banni la viande et développé une cuisine exigeante au service du végétal et de la pêche durable, couronnée par la plus haute des récompenses : 3 étoiles au guide Michelin. Un pari osé dans le restaurant d’un palace qui avait hissé Romain Meder dans le cercle très fermé des grands cuisiniers, mais toujours dans l’ombre d’Alain Ducasse.
Depuis, le quadra a eu envie d’un projet bien à lui, d’une expérience d’entrepreneur. C’est avec cette nouvelle approche, et habité par une vision qu’il s’est installé en avril 2025 dans le VIIème arrondissement de Paris à deux pas de l’Assemblée nationale. « Prévelle », le nom de son restaurant, est d’abord un lieu-dit, « un pré en creux » de son village natal, Neurey-lès-la-Demie, en Haute-Saône. « C’est un hommage à mes racines, une terre qui m’inspire depuis mon enfance et que je vois aujourd’hui comme un trait d’union entre mon passé et le présent ».
140 producteurs triés sur le volet
Dans ce nouvel écrin épuré, on rentre par la cuisine. Il n’y a pas de nappe sur les tables. Le décor est brut, fait de pierre et de bois, avec une salle principale chaleureuse et un salon plus intimiste. Romain Meder a voulu qu’on se sente chez lui comme à la maison. C’est là, derrière ces murs qu’il conjugue la gastronomie au présent du gustatif et conte avec brio les saveurs oubliés. « Ma façon de réfléchir ma cuisine n’a pas changé. En revanche, mon expérience m’a rendu plus radical et plus direct dans mes choix » souffle Romain Meder.
Cette cuisine qui transcende les saisons s’appuie sur des producteurs fidèles avec qui il a tissé des liens étroits. « Je pourrais baisser mes coûts en achetant à Rungis. J’ai fait un autre choix, celui de défendre les paysans, les pêcheurs, les maraichers et d’acheter leurs produits au juste prix ». Ils sont environ 140, triés sur le volet à bénéficier de ses largesses. Les plus anciens travaillent avec lui depuis 15 ans. Avec ces gens de la terre et de la mer, il partage la même démarche responsable et créative. Ce socle est essentiel. Il est à la base de sa réflexion, enrichie de cette capacité qui est la sienne à tout réinventer, tous les ans, sans œillère « pour ne jamais faire deux fois le même plat ».
Dénicher de nouveaux goûts
Chacune de ses assiettes part avant tout d’une réflexion autour du végétal. Dans son monde, la protéine n’est qu’un condiment : une huître crue qui révèle sa puissance, une poularde comme support d’un jus à l’encre de seiche. L’assiette est complétée avec une multitude de détails pensés, réfléchis.
Romain Meder ne s’interdit rien. Ni de cuisiner des vesses de loup, des fleurs d’oseille ou des prunelles, ni d’utiliser du melon encore vert qui va apporter à son plat la petite note d’amertume dont il a besoin. Il fait ses vinaigres avec des feuilles, des coquilles d'huîtres, des pralins avec des sardines ! L’objectif étant toujours le même, trouver les bonnes associations entre chaque produit et dénicher de nouveaux goûts ! Témoin cette aubergine rôtie, servie avec un caviar Petrossian maturé deux mois et accompagnée d’une gelée d’aubergine fumée, ou encore ces morilles rôties, dressées avec des pâtes au pain, des baies de sureau, des feuilles d’oseille, et accompagnées d’un jus noir d’oignon et de champignon.
Cette cuisine d’auteur est mise en valeur par des vins rigoureusement sélectionnés. Pour cela, le restaurant peut notamment compter sur Vincent Cochard, son directeur de salle et ancien sommelier d’Alain Passard, à l’Arpège.
Cela fait presque 30 ans que Romain Meder repousse ainsi les limites de sa curiosité. La cuisine l’a toujours fait rêver. Son grand-père dirigeait le restaurant d’un Ehpad. « C’est lui qui m’a transmis le virus. Les repas familiaux du dimanche étaient divins. Il y avait souvent jusqu’à neuf plats, avec des poissons Bellevue, des agneaux, des volailles…».
Des débuts chez un traiteur
A 15 ans, c’est pourtant par un apprentissage en boucherie-charcuterie qu’il entame sa formation. « Si tu veux être un bon cuisinier, il faut d’abord que tu apprennes à travailler la viande » lui avait conseillé son aïeul. Il l’écoute, sans aucun regret aujourd’hui. « La boucherie était un métier trop monotone pour moi, mais j’y ai beaucoup appris. Et je continue à transmettre ces valeurs. Dans ma brigade, tout le monde sait faire une saucisse » s’amuse-t-il.
Titulaire d’un CAP boucherie, d’un BEP cuisine et d’un BP traiteur, Romain Meder débute sa carrière à 18 ans chez le prestigieux traiteur Potel et Chabot à Paris, avant de rejoindre l’équipe d’Hélène Darroz. En 2006, Alain Ducasse le remarque et le fait venir au Plaza Athénée. Deux ans plus tard, il lui confie les rênes de son restaurant Spoon à l’ile Maurice, puis l’envoie au Liban, au Japon, en Russie, au Maroc, sur la façade orientale de l’Inde pour s’imprégner de ces cuisines d’ailleurs et inventer la haute gastronomie moyenne orientale contemporaine qui sera servie dans le nouveau restaurant, Alain Ducasse à Doha.
« Ces expériences m’ont énormément appris sur les produits, sur les épices. Elles m’ont permis de constituer une sorte de bibliothèque du gout ». Cette bibliothèque, c’est son cerveau, son disque dur dans lequel il conserve des milliers de saveurs, de textures, d’accords. Ce qui lui permet de se lancer en cuisine sans jamais savoir à quoi va ressembler son plat qu’il construit étape par étape, avec ses souvenirs, et sa connaissance érudite des produits, en conjuguant le connu à l’inconnu, le gourmand au percutant.
Alain Ducasse, « une amitié qui compte beaucoup »
En 2014, Alain Ducasse le fait revenir à Paris pour la réouverture du Plaza Athénée. Une fois encore, il lui confie le restaurant où il va imposer sa griffe et décrocher 3 étoiles au guide Michelin avec son mentor. On connait la suite. La séparation avec Alain Ducasse s’est faite naturellement. « Je voulais vivre autre chose » précise-t-il. Et d’ajouter. « Nous sommes restés très proches. On est encore allé en Irlande ensemble récemment. C’est pour moi une amitié qui compte beaucoup. Il continue à me conseiller et me dit toujours : « si je peux t’éviter les bêtises que j’ai faites… »
Fidèle en amitié, Romain Meder l’est aussi avec ses équipes. Son second, Nicolas Parage travaille avec lui depuis 9 ans et sa brigade est à l’image de sa cuisine : multiface. Ces collaborateurs sont belge, italien, québécois, portugais, taiwanais. Il n’y a que trois français dans l’équipe. Fidèle à ses producteurs, Romain Meder l’est encore avec sa Haute-Saône natale. « Toute ma famille y vit. J’essaye d’y revenir régulièrement ». Et c’est aussi dans ce territoire de cœur qu’il s’approvisionne en lentilles, en cancoillotte, en gruyère. Et bientôt en vin.
















