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Jean-Marc Toussaint

Maye Cissoko : un parcours atypique de la plonge à la haute couture gastronomique

# Voyage gourmand# Les bonnes tables

# Vosges

Sénégalais d’origine, Normand de naissance et Lorrain d’adoption, Maye Cissoko est entré en cuisine par la petite porte avant de tutoyer les étoiles. A Rouvres-en-Xaintois (Vosges), ce disciple de Pierre Gagnaire fait vivre une épatante cuisine de l’instant.

Maye Cissoko dans la cuisine de son restaurant à Rouvres-en-Xaintois.

Rares sont les chefs étoilés à avoir commencé à travailler en cuisine pour y faire la plonge. Maye Cissoko est de ceux-là. « J’ai un CAP en maçonnerie, mais j’ai d’abord travaillé comme mécanicien en motocycles », raconte-t-il. Et de poursuivre : « j’ai fini par perdre cet emploi. J’avais besoin de gagner ma vie et c’est comme cela que je me suis retrouvé à faire la plonge au restaurant du casino de Trouville ».

Ce natif de Rouen, Sénégalais d’origine, a alors 18 ans. Il vient de rentrer dans une cuisine par la petite porte et ne sait pas encore que cette décision va changer sa vie. Car Maye Cissoko est d’une nature curieuse. Il a la communication facile et s’intéresse volontiers à ceux de la brigade qui mitonnent des petits plats pour garnir les assiettes.

Le chef, Eric Cocollos, s’en aperçoit et lui propose de mettre la main à la pâte. Bonne pioche. Le jeune plongeur se révèle être un commis studieux, attentif, curieux. Les fourneaux l’aimantent et il passe son CAP de cuisinier en alternance. Mais Eric Cocollos qui a relevé chez son jeune apprenti quelques aptitudes l’envoie à Paris chez Frédéric Anton au Pré Catelan (3 étoiles au Michelin) sans même lui demander son envie. « Sur le moment ça m’a contrarié, mais avec le recul, je lui dis merci car cette expérience a été fondatrice ».

18 mois au Pré Catelan à Paris

Pendant près de 18 mois, le jeune commis passe des poissons à la viande, des entremets au dessert. Il apprend la rigueur, le travail du produit ultra-frais et passe plusieurs mois dans l’équipe de Christelle Brua, la pâtissière qui deviendra quelques années plus tard championne du monde de la spécialité. Quand il quitte le Pré Catelan, il est chef de partie. Eric Cocollos son ange gardien lui propose un poste de sous-chef au Fouquet’s de Toulouse. Puis, il poursuit son ascension au sein du groupe Barrière. A 25 ans, il est propulsé chef du restaurant du casino de Lille. C’est à partir de ce moment que Maye Cissoko entame sa mue. « Jusqu’ici, je faisais ce métier par nécessité, mais sans conviction. A Lille, on m’a donné une liberté totale et j’ai pu laisser libre cours à ma créativité. A partir de là, j’ai commencé à vraiment aimer ce que je faisais et ça m’a donné envie de devenir chef propriétaire », raconte-t-il.

Un vœu qui va doublement se réaliser en Lorraine. Il suit sa compagne de l’époque dans une région qu’il ne connait pas et crée son restaurant dans l’ancien presbytère de Saint-Firmin, au pied la colline de Sion, la bien nommée « colline inspirée ». Nous sommes en 2016. L’année suivante, le guide Michelin lui décerne une assiette, une sorte de pré-étoile qui récompense « la qualité des produits et le tour de main du chef ». « Continuez comme ça, vous êtes sur le bon chemin », lui glisse au passage l’inspecteur du guide rouge. Las, l’aventure dure 3 ans. Maye Cissoko se sépare de sa compagne et ferme son restaurant.

A quelques kilomètres de là, l’hôtel-restaurant Burnel fondée en 1919 à Rouvres-en-Xaintois, un petit village vosgien de 260 habitants, est à la croisée des chemins. Marion Antczak qui travaillait au ministère de l’économie depuis 10 ans a décidé de revenir sur la terre de son enfance pour prendre la suite de sa mère et sa tante à la tête de l’hôtel-restaurant familial. Marion et Maye se rencontrent lors d’un chapitre du club Prosper Montagné. On connait la suite. Ensemble, ils décident d’unir leur destinée, mais aussi leur vie professionnelle. Le restaurant agrandi et restauré de fond en comble rouvre en 2021.

Perfectionniste et éternel insatisfait

Sous la charpente haute de l’ancien lavoir, six grosses fleurs nuages en tissu diffusent désormais une lumière tamisée. Les murs et les rideaux de couleur camel tranchent avec un papier peint vassily, une superposition graphique de formes arrondies que complètent harmonieusement des fauteuils art-déco en velours et tweed. C’est dans ce restaurant raffiné, agrémenté de trois plus petites salles et d’une cuisine en guise d’écrin que Maye Cissoko a pu reprendre le fil de son histoire. Sous sa houlette, la cuisine de la maison Burnel s’est raffinée. Finis la tête de veau et les rognons blancs. Place aux Saint-Jacques, au foie gras et autres turbots.

Au fil des mois, Maye Cissoko imprime sa marque avec des goûts simples, mais francs, tout en respectant scrupuleusement les fondamentaux. « Un plat, c’est une viande ou un poisson, un accompagnement et une sauce. La sauceest essentielle. Elle fait partie de la culture française. C’est l’ADN du plat », souligne le chef qui aime par-dessus tout la cuisine de l’instant. «J’aime cette pression, cette nécessité de trouver des solutions immédiates, en créant sur le moment pour sublimer un produit brut ». Une philosophie qui le rapproche de son mentor, Pierre Gagnaire convaincu que « l’émotion en cuisine doit toujours primer sur la technique ». Réputé perfectionniste et éternel insatisfait, Maye Sissoko se joue des textures, travaille les cuissons avec justesse et peaufine une partition de saison « où c’est toujours le produit qui dicte la carte ».

Un guide nommé Prosper Montagné

Au final, ses assiettes sont inspirées, structurées, les saveurs marquées. Témoin, cette raviole de homard breton avec son émulsion de pomme charlotte, sa bisque infusée à la cardamone ou encore ce maquereau mariné aigre doux, avec ses œufs de brochet, son sorbet piquillo et ses pousses de moutarde. « Je préfère travailler le poisson et les crustacés que la viande » indique le chef. Il n’empêche, on se régale aussi de son foie gras poêlé servi avec des champignons de Paris, de l’huile de poireau, de la salicorne et du persil frit ou encore de ce pigeon cuit sur coffre au foin, pané aux céréales et servi sur une pulpe d’aubergine et dans un second plat à part, une cuisse confite avec sa sauce salmis.

Cette cuisine inspirée a valu à Maye Cissoko de décrocher une première étoile au guide Michelin en 2025. « On ne s’y attendait pas aussi vite. L’important désormais sera de confirmer », reconnait-il. Pour cela, il pourra compter sur une femme attentive et gestionnaire avisée. Mais aussi sur son indéfectible volonté de toujours apprendre et progresser. Chaque soir après le service, Maye Cissoko se détend en se plongeant dans le Larousse gastronomique de 1938, écrit par Prosper Montagné. Passion quand tu nous tiens !

Jaune d'oeuf et tomates cerises confits à l'huile d'ail, sauce sésame, gaspachio et champignons Shimeji.

 

Infos pratiques

  • Hotel-Restaurant Le Burnel

22, rue Jeanne d'Arc

88 500 Rouvres-en-Xaintois

Maye Cissoko : un parcours atypique de la plonge à la haute couture gastronomique
Un reportage de Jean-Marc Toussaint