
Sur un pan de mur de la Loggia, il y a « les six éléments » cette fresque aussi colorée que monumentale de Jean-Charles de Castelbajac. Sur le mur opposé des livres d’art, dédiés à la mode, à la photographie, à l’architecture. Matisse y côtoie Helmut Newton, Monnet et Lagerfeld. Au milieu, des tables de marbre, de bois, de verre, des sièges roses, bleus et jaunes pastels. Certains éléments du mobilier sont signés Starck, témoin de l’appétence du propriétaire Olivier Massart pour le design et l’art contemporain. Autour de ces tables dressées avec des assiettes signées Muriel Gâteau, serveuses et serveurs s’affairent, passent comme des elfes pour rendre l’instant magique et inoubliable. Il reste deux faces à ce restaurant en forme de rectangle.
Un mur de verre, lumineux qui s’ouvre sur une terrasse ombragée dominant des rangés de vignes, des parterres de lavande, des oliviers, des abricotiers, des alignements de cyprès. Cette chlorophylle se mêle harmonieusement face aux collines mauves du Lubéron qui rappellent la Toscane. Le dernier mur est lui aussi partiellement vitré. Il donne sur la cuisine. Et là aussi, il y a des airs d’Italie. Aux fourneaux, le chef Vincenzo Regine, natif d’Ischia, la plus belle ile du golfe de Naples, peaufine une cuisine inspirée, née d’un subtil mélange entre la gastronomie transalpine et cette Provence gourmande si chère à Paul Cézanne.
Authenticité et raffinement
Avant le début du service, la cloche retentit « pour annoncer le début du voyage ». Le ton est donné dès le premier amuse-bouche : un gnocchi de pomme de terre rôti, avec un crémeux de robiola (un fromage de brebis italien). S’en suit un œuf soufflé avec une déclinaison d’asperge : crue, cuite, en crémeux, en pickles. Puis, de la truite enroulée dans une algue nori coiffée d’un crémeux et d’une tuile au kumquat servie avec un beurre blanc aux algues, des œufs de truite, de la laitue de mer et de la salicorne. Un plat délicat résolument entre deux eaux, résumé de la cuisine très personnelle et rafraichissante de Vincenzo Regine qui allie la simplicité et l’authenticité au raffinement le plus abouti. La cuisine de Vincenzo, c’est tout un art, un cadeau à partager, une histoire d’amour, des plats rayonnants de soleil, mais aussi le fruit d’une expérience plurielle.
Vincenzo Regine a successivement travaillé au Sea Grill (2 étoiles Michelin) à Bruxelles, avant de prendre la direction des cuisines du restaurant italien de l’hôtel Amigo, toujours à Bruxelles. Il a été consultant, puis au commande du restaurant bistronomique de la chèvre d’or à Eze, mais aussi du domaine de Verchant, un relais et château, proche de Montpellier. Que des belles maisons où le chef italien a appris les codes de l’hôtellerie haut de gamme, mais où il n’a jamais pu exprimer pleinement son talent. « Quand il faut assurer 60 ou 80 couverts, il n’est pas possible de faire de la grande gastronomie » plaide-t-il. Aux Andéols où il a posé ses valises en mars 2024, il a trouvé un écrin à sa mesure : 25 couverts, pas un de plus.
Embardées piquantes
A 43 ans, c’est sans doute pour lui le bon endroit et le bon moment pour décrocher une étoile au Michelin. Ici, il a carte blanche. « On me fait confiance. Je suis totalement libéré. J’ose davantage », reconnait-il. Et ça se sent dans ses plats souvent porteurs de messages. Témoin son interprétation culinaire de l’Etna. Un plat totalement noir, servi dans une assiette noire avec deux morceaux de fenouil blanc/vert pour rappeler que la vie reprend toujours le dessus après une coulée de lave. Visuellement, la surprise est totale. C’est très osé. Et gustativement étonnant. « Au départ, j’avais fait un poisson en croute de charbon. Mais avec l’épaisseur de l’enveloppe, la cuisson du poisson était compliquée. J’ai donc laqué la liche à l’encre de seiche que je propose avec une déclinaison de fenouil : au charbon végétal, au ricard et cru, le tout accompagné d’une réduction de poisson de roche et de poivron rouge », raconte Vincenzo Régine dont la cuisine se régale d’embardées piquantes. « J’aime apporter une note acide à mes plats et j’utilise souvent pour cela des pickles ou des agrumes », indique le chef.
Un fil conducteur que l’on retrouve jusqu’au dessert avec cette sphère en chocolat contenant un crémeux de carottes, accompagnée d’un sorbet aux agrumes, de quartiers d’’oranges brulées et de pickles de carottes. Bello e buono !
Faiseur de rêves
Le domaine des Andéols, c’est d’abord l’histoire d’un homme, Olivier Massard, photographe, inventeur de la scénographie des défilés de mode, puis fondateur de « La mode en images », une société qui crée et accompagne quantité d’événements dans le monde de la haute couture, de l’art et de la culture. C’est notamment lui qui a habillé la tour Eiffel pour son centenaire en 1989. C’est encore lui qui a organisé un défilé de mode avant la finale de la coupe du monde de football au stade de France en 1998.
L’homme est né à Saint-Saturnin-les-Apt. Son père exploitait les oliviers. Son grand père était sculpteur. Du hameau de son enfance il a fait un rêve. Il a racheté les onze mas du lieu-dit pour en faire des maisons d’artistes. Ces amis du monde entier venaient s’y ressourcer, créer, puiser leur inspiration. En 2005, Olivier Manssart a fait de son réve un hôtel luxueux, composé de onze villas et de huit suites éparpillées sur un domaine de 32 hectares où l’art est omniprésent à l’intérieur comme à l’extérieur. Ici, on s’assoit dans un canapé en galbasse et corne signé de l’artiste malien Bandia Camara ou dans des fauteuils griffés par Pucci de Rossi. On croise des œuvres de Jean Charles Blais et d’Andy Warhol. On côtoie des bronzes de José Caballero.
Parmi ce musée en partie à ciel ouvert, l’exploitation agricole familiale perdure. Les jardiniers cueillent aussi les olives qui sont transformées en huile au moulin tout proche, puis utilisée dans les cuisines du domaine. On y produit aussi du vin, de l’huile essentielle de lavande et on y récolte quantité de fruits et de légumes.