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Claude Vautrin

Voyage à travers la Transcaucasie, le berceau antique de la viticulture, pour le plaisir des sens

# Voyage gourmand

# Arménie# Géorgie

En Géorgie la viticulture participe à l’identité du pays. En cette Transcaucasie où le premier chai au monde, découvert en Arménie, date du néolithique, la tradition sert aujourd’hui la production de vins de qualité. Balade, en Géorgie et en Arménie, en une Eurasie favorable à l’éveil des sens.

Domaine viticole de Old Bridge Eghegnazor Arménie

En cette Eurasie frontière, aux vastes massifs volcaniques englacés, de tout temps les convoitises de voisins plus puissants furent ardentes. Entre mer Noire et mer Caspienne, l’ambition était d’abord d’ordre géopolitique. Mongols, perses, ottomans, russes, britanniques, pour ne citer qu’eux, les envahisseurs, en mal de territoires ou de ressources, jetaient leur dévolu sur l’or, l’argent, le cuivre, le minerai de fer, entre autres manganèse, charbon, pétrole et gaz naturel. Née dans l’Antiquité, une ressource et une activité savamment entretenues durant des milliers d’années, les laissaient-elles pour autant indifférents ? Plus que jamais vivante, la viticulture participe à l’identité même de la Géorgie et de l’Arménie, deux pays de cette chaîne mythique du Caucase qui ont su préserver un savoir-faire traditionnel et développer, en dépit des pressions et de circonstances, parfois tragiques, cette production gourmande.

Kisiskhevi, du sovkhoze au royaume du Saperavi

La Géorgie ne revendique-t-elle pas aujourd’hui 540 cépages dûment authentifiés, et autant de saveurs, pour cent mille hectares de vignes ? Plus modeste, mais tout aussi performante, l’Arménie n’affiche-t-elle pas 16 500 hectares de vignobles et une cinquantaine de cépages exploités ? Ne se dit-il pas enfin que le mot vin viendrait du terme géorgien définissant le précieux liquide, à savoir gvino ! Un argument convaincant parmi d’autres. Comme l’est en Kakhétie la renommée d’un Mukuzani, rouge et sec, élaboré à base de cépages Saperavi, ou d’un Rkatsiteli, un blanc vif, aux notes florales, de pêche blanche, de pomme verte. 

 Sovkhoze de Kisiskhevi à Telavi dans la Province de Kakhétie en Géorgie. 1987.

Ma première approche des vins géorgiens eut pour cadre en 1987 le sovkhoze de Kisiskhevi, près de Telavi, un des hauts-lieux de la viticulture géorgienne en Kakhétie, une des provinces historiques de l’est du pays. A la fin des années 1980, la menace émanait du Kremlin. Le secrétaire général du Comité central du Parti communiste de l’Union soviétique Mikhaël Gorbatchev entend limiter les productions de vins forts, dans le cadre de la lutte contre l’alcoolisme. « La loi ne nous concerne pas », me répond alors, en toute confiance, Michel Equidennachvili, le responsable du sovkhoze, à la tête de 720 employés et convaincu des atouts locaux. Ses arguments ? « L’implication de la ferme étatique dans la vie locale, notamment l’extension des écoles, l’aménagement récent d’un cinéma, d’une scène théâtrale, d’une cantine et d’une crèche, et surtout la production de vins de marque », réputés dans toute l’URSS. Le nom de Kisiskhevi est désormais associé au Saperavi, un cépage-roi de Géorgie.

Le plus vieux chai du monde

Dans d’énormes jarres de terre cuites, dénommées Kvevri, enfouies sous terre, héritières de l’Antiquité, vieillissent il est vrai des vins épais et chaleureux. Des noms font écho tels les Gourdjaani, Tsinandali, Saperavi, des vins aromatiques de Telavi ou de Kvareli , en Kakhétie. D’autres régions y participent plus à l’ouest, en Iméréthie, en Basse Svanétie, en Adjarie. Environ 2400 domaines privés se sont ainsi substitués aux sovkhozes et autres kolkhozes de jadis, perpétuant une longue tradition, résistant depuis belle lurette aux aléas de l’Histoire.

Ici la viticulture compte parmi les plus anciennes au monde, les premières traces de vinification datant de 8000 ans, c’est dire. Une équipe d’archéologues et des scientifiques a en effet découvert au milieu des années 2010 des traces de vin dans huit grandes jarres en céramique provenant des sites néolithiques - environ 5000-6000 ans avant notre ère - de Shulaveris Gora et Gadachrili Gora, dans la vallée de la Kura, au cœur de la province centrale de Kvemo Kartli.

L’Arménie revendique également de telles lettres de noblesse. A 110 kms au sud-est d’Erevan, les reliefs du Vayots Dzor abritent le long de la rivière Arpa une grotte de l’âge de bronze au destin singulier. Les fouilles de ce site archéologique ont en effet livré le chai le plus vieux jamais découvert au monde avec ses près de 6000 ans d’âge. Pressoir, cuve d’argile cerné de pépins de raisin, restes de poterie : les preuves sont là, encourageant à partir à la rencontre des vignerons locaux.

La grotte de Areni 1 Pressoir abrite  le plus vieux chai au monde dans les reliefs de Vayots Dzor, le long de la rivière Arpa. Arménie

Kvevri : une vinification traditionnelle de longue date

Depuis plus d’une décennie, les domaines viticoles arméniens affinent leur production, dans des vignobles de plus en plus réputés, ouvrant leur domaine à la visite et aux dégustations. Témoin, non loin de là, à Eghegnazor, celui de Old Bridge. Le vieux pont s’avère un bon prétexte pour s’arrêter sur la rive droite de l’Arpa, à 1300 m d’altitude. Le sol est sablonneux et rocheux, comme les reliefs avoisinants, les cépages adaptés au climat, les vins, blanc, rouge et rosé de bonne qualité. Toujours dans la montagne, plus au nord, dans la région de Tavush, issus de l’endémique cépage Areni, les arômes des vins Hovaz sont fruités - framboise, cerise, vanille - et excellents en bouche. Dans la vallée d’Ararat, le domaine Tushpa rivalise, invitant à (re)découvrir les « vins du Monde ancien », n’en jouant pas moins la carte d’« une innovation inspirante avec une touche de beauté ancienne », dit la publicité. De 50 000 à 100 000 bouteilles de blanc, rouge, muscat, et pétillant en sortent l’an, sans oublier les amphores !

C’est dans ces fameuses Kvevri (ou Qvevri) qui peuvent contenir jusqu’à 3500 litres que s’opère la vinification. Jus, peaux et grappes mêlés, la fermentation démarre dans ces grandes jarres de terre cuite, tapissées à l’intérieur de cire d’abeille, pour en assurer l’étanchéité. Enterrées, à l’air libre ou plus souvent dans des caves à vin, nommées Marani, les Kvevri gardent les vins à une température constante de 13 à 15 degrés, idéale pour la fermentation. La reconnaissance est universelle, depuis l’inscription en 2013 de ces Marani et de la vinification traditionnelle géorgienne au patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’Unesco.

Enterrées, à l’air libre ou plus souvent dans des caves à vin, nommées Marani, les Kvevri gardent les vins à une température constante de 13 à 15 degrés

A Tblilissi, le Tbileli bar… à vins

Dans ce registre de liquides précieux, pas question d’oublier le Brandy arménien ayant séduit en son temps un client pour le moins exigeant, à savoir Winston Churchill, et qui a sa Mecque à Erevan, la Yerevan Brandy Company ! Une certitude, la visite de toutes ces caves est marquée du sceau du naturel, de la finesse et du goût. On peut même parfois y trouver gîte et couvert.

Tbilissi ne manque pas d’arguments en la matière. Une halte dans la vieille ville, au Tbileli, un bar à vins cerné de balcons de bois, d’escaliers en fer forgé, de baies vitrées du XIXe siècle, fait parfaitement l’affaire. La dégustation d’un verre de Rkatsiteli Bolnuri, un vin blanc naturel, provenant d’un de ces petits trésors de vignoble que compte le pays, et accompagné de Tchourtchkhela, une des douceurs les plus emblématiques de Géorgie, est un bon prétexte pour échanger avec Kakha Kakabadze et Merab Mirtskhulava, gérants et propriétaire du domaine viticole de Marani d’Alapiani, en Kartlie, sur les singularités des vins géorgiens.

L’art oratoire du Supra

Au sortir du rendez-vous improvisé, le sentiment d’appartenir à la famille embellit l’instant. Les Géorgiens sont ainsi accueillants, bienveillants, attentionnés. Telles ne sont pas leurs seules qualités. Connus pour leur maîtrise du chant polyphonique, ils le sont tout autant dans celle de l’art oratoire. Invité à un Supra, un banquet géorgien traditionnel dont l’origine remonte à l’Antiquité grecque, j’en fis l’expérience dans les années 90 à Mukhrantubani, une vieille auberge du centre, non loin de la Tour de l’Horloge. Si la dénomination revient maintenant à un Boutique-Hôtel, l’esprit du Supra reste dans la mémoire. Sous la conduite du Tamada, le maître des cérémonies, chaque convive apportait sa subtile contribution orale au sujet du jour, sensible au regard des changements politiques et sociétaux en cours. Une prise de parole appelait un toast. J’y mesurais alors, outre la capacité locale à se désaltérer, la finesse d’esprit de ce peuple, tout aussi fier de son indépendance que de sa riche culture nourrie des poèmes de Chota Roustaveli, des peintures de Niko Pirosmani, du doigté au piano de Khatia Buniatishvili, etdetant d’autres artistes.

La conversation allait bon train, tandis que la nappe, la justement nommée Supra, disparaissait peu à peu sous les plats colorés et les carafes emplies de vins locaux, blancs, et rouges, une fois bu le premier Brandy. Toute la gamme fraîche et robuste, froide ou chaude, de la cuisine géorgienne s’affichait alors. Légumes ou fruits, les végétaux étaient en nombre. Raviolis farcis de viande ou de fromage, les khinkali rivalisaient avec le khachapuri, une pâte chaude garnie de fromage et d'œuf. En grillade ou en sauce, la viande n’était pas en reste. Sans oublier les fromages, en saumure, venu tout droit de Svaneti, le Tenili, fromage de brebis à cordes … Les Tklapi, une pâte de fruits cuits, à base de prune, clôturaient le festin qui s’affiche toujours dans les nombreuses bonnes adresses de la bien nommée « Florence du Caucase ».

Coup de cœur

Tous les sens en éveil

Ouchgouli, région de Svanétie en Géorgie: le Mont Chkhara et l'église de Lamaria pour le plaisir des yeux. Photo Nil Vautrin 

Que le Caucase soit grand ou petit, en Géorgie comme en Arménie, le goût n’est pas le seul sens à être sollicité. La découverte des vignobles transcaucasiens vous mènent sur des routes aux paysages de toute beauté. De quoi en prendre plein les yeux quand se profilent en Svanétie au pied du Mont Chkhara, point culminant de la Géorgie avec ses 5193 mètres, le village de montagne d’Ouchgouli et ses tours de défense médiévale. Au nord de la Kakhétie, sur la route militaire zigzaguant vers la Russie, place aux défilés grandioses de la vallée de l’Aragvi ou encore à la forteresse d'Ananuri veillant sur le lac Zhinvali. L’Arménie ouvre, elle, les portes de ses monastères de toute éternité, accrochés à la montagne - Gehrard, Noravank d'Amaghu près d'Eghegnazor – ou posé dans la plaine tel Khor Virap («Fosse profonde») face au Mont Ararat…  L’oreille se laissera bercer par les chant polyphoniques, l’odorat s’abandonnera aux parfums de la gastronomie caucasienne. Quant au toucher, il se pliera à l’injonction d’une gravure taillée dans le marbre, ouvrant la voie de découvertes insoupçonnées à Yerevan et Tbilissi, les capitales animées de longue date. Une autre histoire !

Infos pratiques

Contact

Y aller

  • Air France (CDG) et Transavia (Orly) proposent des vols de Paris à Erevan. La monnaie locale est le Dram. Change facile sur place. Passeport en cours de validité.
  • Vol direct Paris CDG-Tbilissi via Air France. Durée environ 5h sans escale. La ville est à 19 kms (18 minutes en voiture) de l’aéroport international Chota-Roustavéli par le métro ou la ligne de bus 337 (compter une heure jusqu’à la gare centrale). La devise est le Lari géorgien.
  • Dans les deux pays, la CB est acceptée dans les hôtels et restaurants. Passeport ou carte nationale d'identité (la nouvelle CNI) en cours de validité.

A visiter

Arménie

Géorgie

Se restaurer et dormir

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Géorgie

  • Pasanauri 17 rue Baratashvili, TbilissiCuisine géorgienne de qualité Tél +995 595 36 22 88
  • Shavi Lomi 28 rue Zurab Kvlividze, Tbilisi La cheffe Meriko Gubeladze apporte de la couleur à la cuisine géorgienne Tél +995 32 296 09 56
  • Sabatono 30 rue Alexander Griboedov, Tbilissi Restaurant typique géorgien, accueil chaleureux de Mamuka, le patron - Tél +995 32 293 52 76
  • Café Murkvam Chvibiani, Ouchgouli Géorgie. Du porc, viande majeure de la région, cuisinée à la géorgienne avec des pommes de terre rissolées, coupées en petits cubes.Tél +995 595 06 07 10
  • Vinotel Boutique Hôtel, édifice historique du XIXe siècle, cave à vin à la riche sélection de vins géorgiens et dégustations avec un sommelier professionnel.Elene Akvhlediani Agmarti 4, Tbilissi 0103Tél +995 32 255 58 88
Voyage à travers la Transcaucasie, le berceau antique de la viticulture, pour le plaisir des sens
Un reportage de Claude Vautrin