
Il y a exactement 100 ans que le compositeur allemand Fred Raymond a écrit la musique pour « Ich hab mein Herz in Heidelberg verloren », j’ai perdu mon cœur à Heidelberg. Ils sont d’ailleurs nombreux à succomber aux charmes de cette ville sur les berges du Neckar, entourée de montagnes et de vignobles : chaque année, plusieurs millions de touristes viennent s’imprégner de son ambiance si particulière. Les nombreux peintres et poètes du début du XIXe siècles tombés sous le charme de Heidelberg, ont été subjugués par des …. ruines. Victor Hugo était fasciné par l’interaction entre la nature, l’architecture et l’histoire. « Je ne saurais vous dire ce qu’il y a d’inexprimable dans ce mélange de l’art et de la réalité, c’est à la fois une lutte et une harmonie (….) Il me semble que ce palais, bâti par les fées de la renaissance, est maintenant dans son état naturel. »
Symbole du romantisme allemand
Depuis le Kornmarkt, un funiculaire monte jusqu'aux ruines du château. Les sportifs préfèrent monter à pied, mais c’est très raide! Avec ses façades gothiques et Renaissance richement décorées (la construction a duré 400 ans !), le château est le symbole de la puissance des comtes palatins et des électeurs de la maison de Wittelsbach qui y ont siégé pendant cinq siècles.
Le musée allemand de la pharmacie abrité dans une aile, vaut le détour. Il raconte l'histoire passionnante de la pharmacopée de l'Antiquité au 21e siècle. Saviez-vous par exemple qu’au 16ème siècle, la momie en poudre était appréciée comme remède? Dans les caves du château, les visiteurs se pressent devant un immense tonneau destiné à stocker les taxes réglées par les communes environnantes en vin. Un escalier en bois mène au sommet du fût d'une capacité de 220 000 litres ! Le fou du roi y montait la garde. Un pipeline apportait le vin directement dans la salle de bal. Malheureusement le fût n'était pas bien scellé et ne pouvait donc plus servir... Mais les touristes adorent ce témoin de la démesure.
Après la destruction du château en 1693 par les troupes françaises et la foudre dévastatrice en 1764, l'édifice tombe dans un profond sommeil. Après un avis d'experts en 1891 - et de vifs débats - il a été décidé de ne pas rénover le rénover. Seul l’aile du Friedrichsbau témoigne encore de toute la splendeur du passé.
Malgré cela, ou peut-être à cause de cela, le palais avec ses fenêtres qui s'ouvrent sur le ciel, sa tour poudrière écroulée, exerce une fascination singulière au point d’être devenu l'incarnation du romantisme allemand. « Si le château avait été reconstruit, il ne serait alors qu’un parmi tant d’autres, et notre ville moins connue », estiment beaucoup d’habitants. Depuis le vaste parc, la vue est magnifique sur le Neckar, la vieille ville et le chemin des philosophes sur le Heiligenberg en face.

Bien plus qu’un cliché romantique
Mais la ville « so romantic » a plus à offrir que sa riche histoire. Certes, les majestueuses ruines du château sont pittoresquement situées sur la pente du Königsstuhl au-dessus de la vieille ville qui abrite des églises, des abbayes, des belles demeures anciennes. Mais la ville propose aussi un large éventail d'activités culturelles avec des festivals de musique et de théâtre, des sentiers de randonnées, des vignobles, d'innombrables pubs rustiques, des cafés raffinés, des restaurants et des boutiques.
Des petits trésors cachés aussi comme cette bretzel sculptée dans l'un des piliers de grès de l'église du Saint-Esprit sur la place du marché. Elle servait de mesure pour les boulangers venus de l’extérieur de la ville.
L'église a d’autres particularités comme des étals entre ses piliers et des événements insolites pour un édifice religieux tels que du théâtre, de la danse et des concerts pas toujours « classiques » : depuis 2015, la série « Citykirche Rock'n'Pop » fait le plein avec des interprétations de Taylor Swift, des Beatles, de Queen. C’est tellement entraînant que les fidèles se mettent à danser.
Laisser sortir le cochon et offrir du chocolat
Sans ses étudiants du monde entier, Heidelberg serait probablement une ville-musée endormie au lieu d’afficher une image jeune et dynamique. La rue principale, la Hauptstrasse, est l'une des plus longues zones piétonnes d'Allemagne, avec ses boutiques et autres cafés Starbucks. Des petites rues et ruelles sont bordées de bars et de bistrots, de galeries et de boutiques qui ne sont pas seulement populaires auprès des étudiants.
Fondée en 1386 par le prince électeur Ruprecht Ier, la Ruperto Carola est la plus ancienne université d'Allemagne. Une université très renommée, puisque onze de ses professeurs ont obtenu un prix Nobel. A voir absolument, sa bibliothèque (1905), à l'architecture impressionnante, qui est en accès libre. Elle abrite un véritable trésor, le Codex Manesse, un magnifique recueil médiéval de chansons.
Faire la fête a toujours fait partie de la vie étudiante. Les nombreux pubs étaient (et sont toujours) les points de rendez-vous parfaits pour déguster des boissons enivrantes. Cependant, dans le passé, les autorités ne plaisantaient pas avec la discipline. Les étudiants ivres qui troublaient l'ordre public étaient jetés dans un « cachot » rattaché à l'université, et qui a été en service jusqu'en 1914.

Une punition ? Pas vraiment, car ces jeunes messieurs ont mis un point d'honneur à y passer quelques jours. Ils se faisaient d’ailleurs livrer leurs repas, pouvaient sortir assister aux cours avant d’y retourner et d’immortaliser leurs délits triviaux sur les murs : comme faire sortir le cochon de la cour d’un voisin, se battre en duel, faire du tapage nocturne ou encore se baigner nus dans la fontaine du marché. Les murs du cachot se lisent comme un livre d’images!
Mais, romantisme oblige, à Heidelberg, même les étudiants étaient romantiques ! Ils aimaient bien se rendre au Café Knösel, le plus ancien de la ville. C’était le seul lieu fréquenté également par les jeunes filles des pensionnats, toujours accompagnées de chaperons. Pour aider les jeunes gens à communiquer secrètement, le pâtissier a créé un bonbon en chocolat. Ce « baiser de l’étudiant » étant présenté dans une petite boîte, les étudiants pouvaient y cacher un petit mot doux….
Franchement, comment ne pas tomber sous le charme de Heidelberg et de donner raison aux paroles de la chanson, « j’ai perdu mon cœur à Heidelberg ».
Coup de cœur
Sur les traces des philosophes
Du Theodor-Heuss-Brücke, le chemin monte un peu raide jusqu'au Heiligenberg. Mais la vue sur la ville, le fleuve Neckar et le château en vaut la peine. Ici, sur ce balcon naturel et ensoleillé, considéré comme l’endroit le plus chaud d’Allemagne, de nombreuses plantes exotiques prospèrent. Certains surnomment le lieu la Toscane allemande.
Dans le passé, les professeurs et les étudiants arpentaient les chemins plongés dans leurs pensées ou lancés dans des discussions hautement philosophiques.
Sur trois kilomètres, le chemin passe devant la colonne Bismarck en grès rose, le rocher commémoratif de Liselotte, duchesse Élisabeth-Charlotte d'Orléans, née à Heidelberg et mariée au frère de Louis XIV (ce qui a conduit à la destruction du château par les Français en 1693). De nombreux bancs invitent à se poser pour profiter de la vue ou, pourquoi pas, méditer comme jadis les savants ?
Le chemin du retour se fait par l'étroit « Schlangenweg », le chemin des serpents, jusqu'au vieux pont qui ramène à la vieille ville.
