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Jean-Marc Toussaint

Marc Haeberlin, le bon goût en héritage

# Voyage gourmand# Les bonnes tables

# Alsace

Longtemps triple étoilé au guide Michelin, l’Alsacien Marc Haeberlin, chef de l’auberge de l’Ill, s’est donné comme objectif de reconquérir le macaron qu’il a perdu en 2019. Depuis plus d’un demi-siècle, ce patron social, peintre à ses heures, cuisine comme il respire. Portrait d’un homme qui a su apporter sa griffe à cette prestigieuse maison, sans la révolutionner.

Marc Haeberlin est l’une des mémoires vivantes de la gastronomie française.

Toutes les salles du restaurant sont ouvertes sur les berges de l’Ill, cet affluent du Rhin qui folâtre parmi les grands arbres. Ici, il y a la représentation d’un vol de cigognes dans une marqueterie murale de près de 8 mètres de long. Un record mondial, parait-il. Dans une autre salle, un rideau de joncs en cristal Murano se joue de la lumière. Au plafond, trois flaques en inox martelé reflètent et amplifient la présence de la rivière.

Ce décor est un résumé de la cuisine de Marc Haeberlin : traditionnelle et naturelle comme la marqueterie, lumineuse, contemporaine et ouverte sur le monde comme ce paravent de cristal italien, artisanale comme ses flaques d’inox martelées. A l’auberge de l’Ill, cet ancrage est aussi le fruit de l’hérédité. Avant Marc, il y a eu Paul, son père. Avant Paul, il y a eu Henriette sa tante…  Voilà quatre générations que la famille Haeberlin met les petits plats dans les grands en régalant les têtes couronnées, les affiches du show-biz et les gourmets anonymes.  Ici on a vu défiler Bourvil, Delon, Orson Wells, Johnny, Giscard et Mitterrand, ou encore Juan Carlos, le roi d’Espagne pour n’en citer que quelque uns.

Ce poids du passé est présent dans toutes les grandes maisons, mais il l’est encore bien davantage dans ce fief familial, étoilé au guide Michelin sans rupture depuis 1952. Il suffit d’aller en cuisine pour le comprendre.  Au-dessus du passe-plat, trône la statue de bronze de Paul Haeberlin, le père géniteur et formateur, celui qui a décroché la troisième étoile en 1967. Non loin, est placardée au mur la photo de Paul Bocuse, « mon deuxième papa qui a aussi été mon mentor et mon conseiller », raconte Marc Haeberlin. Et d’ajouter : « Nous étions très proche, mais je n’ai jamais réussi à le tutoyer. Toute ma vie, je l’ai appelé Monsieur Paul ».  C’est chez Bocuse, mais aussi chez Lasserre et Trois Gros que Marc Haeberlin a appris son métier en dehors du cocon familial. Un compagnonnage qui a duré quatre ans « pour découvrir d’autres manières de travailler ».

Une mémoire vivante de la gastronomie

Ce lien profond avec le passé se retrouve jusque dans la carte du restaurant où subsistent de nombreux plats mythiques réalisés par son père. A commencer par la fameuse mousseline de grenouilles, créée  en 1965. En réalité, une mousse de sandre réalisée avec des œufs, de la crème et intégrant un ragout de cuisses de grenouille, pochée au four et servie sur un lit d’épinards.  Mais on peut citer aussi le saumon soufflé, le homard pince Vladimir, la truffe sous la cendre (une truffe noire enrobée d’une farce fine et de foie gras, enveloppée dans une pâte brisée cuite à la friteuse) ou encore les crêpes cherry Gaby, flambées au kirch et fourrées aux griottines dont raffolait Mireille Mathieu.

Même dans ses pratiques Marc Haeberlin a remis au gout du jour des techniques oubliées, comme la cuisson du poisson sur arête « parce que la chair est ainsi plus moelleuse, plus parfumée ». Mais n’allez pas pour autant croire que le chef alsacien est un homme résolument tourné vers le passé. « Je vis avec mon temps, sans céder aux modes éphémères », corrige-t-il.

Du haut de ses 71 ans, il est l’une des mémoires vivantes de la gastronomie française et a vu passé quantité d’évolutions dans son métier. « Quand j’ai commencé, la cuisine gastronomique n’était pas élaborée comme aujourd’hui. On servait des avocats vinaigrette, des melons au porto avec du jambon de Parme, de la truite au bleu ou encore des entrecôtes à la sauce béarnaise. Et à l’époque, on était cinq en cuisine. Aujourd’hui, on est cinq fois plus. Ça dit beaucoup sur l’évolution des plats et leur préparation en amont » tranche le chef dont le travail reste à la croisée de la cuisine bourgeoise et de la cuisine moderne, sur des bases de l’école Escoffier. Autrement dit « une cuisine française remise au goût du jour et teintée d’influences d’ailleurs », notamment japonaises. « Je travaille le bœuf wagyu, je fais mariner  l’omble chevalier ou le sandre dans le saké. J’utilise des algues nori. Le Japon, c’est Paul Bocuse qui m’a incité à m’y intéresser. Et c’est un peu grâce à lui, si nous avons ouvert trois auberges de l’Ill à Nagoya, Sapporo et Tokyo en partenariat avec le groupe Hiramatsu », souligne Marc Haeberlin.

Prêt à transmettre

 En salle, les plats défilent. Ici un serveur apporte un tartare de haddock fumé travaillé avec du céleri branche, servi avec une brunoise au citron vert et une mousse de pomme de terre poudrée au café avec en accompagnement un kouglof à l’ail des ours. Plus loin, un couple se régale d’un tournedos de pigeon emballé dans une crépine de veau, farci au foie gras d’oie, à la truffe noire, servi avec une sauce périgourdine et une déclinaison de céleri, en gnocchi, rôti et en purée. Ailleurs, on est déjà au dessert devant une île flottante pochée au basilic, accompagnée de rhubarbe fraîche, en carpaccio, en émulsion.  Et accompagné d’un sorbet au fromage blanc.

Marc Haeberlin passe entre les tables, salue les clients, échange avec chacun. La passion est toujours intacte. Tous les matins à 7 h 30, il est en cuisine avec son second, Jean-Paul Bostoen, meilleur ouvrier de France et présent depuis 22 ans à l’auberge. « Ma vie c’est la cuisine et il n’est pas question que j’arrête », indique Marc Haeberlin qui continue de nourrir de nombreux projets. A commencer par la relance du Clos Saint-Vincent à Ribeauvillé, un ancien relais et châteaux qu’il compte bien transformer pour 2027 en hôtel cinq étoiles à côté d’une brasserie haut de gamme.

 Un chantier qui ne lui fait en rien perdre de vue la reconquête de la 3ème étoile perdue en 2019. « Ça reste une blessure, mais aussi une source de motivation :  je me lève tous les matins en me disant que je la regagnerai », souffle-t-il en observant avec émotion l’intérêt croissant de l’aîné de ses trois petits fils pour la cuisine. « Il est encore jeune. Mais j’ai l’impression que ça lui plaît », poursuit Marc Haeberlin qui veut croire à une nouvelle transmission dans le giron familial.

Tournedos de pigeon emballé dans une crépine de veau, farci au foie gras d’oie, à la truffe noire et au chou, servi avec une sauce périgourdine et une déclinaison de céleri, en gnocchi, rôti et en purée.

Infos pratiques

  • L’auberge de l’Ill

2, rue de Collonges au Mont d’Or

68 970 Illhaeusern

Marc Haeberlin, le bon goût en héritage
Un reportage de Jean-Marc Toussaint