
« Mon père était mécanicien, ma mère couturière. Un jour, ils se sont décidés à acheter un bistrot de village, ici à Languimberg. C’était une époque où il y avait encore du monde dans les cafés. Le dimanche, après la messe, c’était bondé jusqu’à 13 h. Progressivement, ma grand-mère italienne s’est mise à la cuisine le midi. Elle faisait une cuisine traditionnelle : de la poule au pot, du bœuf gros sel, de la blanquette de veau… C’est dans ses jupes qu’instinctivement j’ai appris qu’on pouvait faire de très bons petits plats avec des choses simples. La cuisine, c’est une éducation. Elle est le reflet de ce que tu es, de ce que tu as appris » résume Bruno Poiré.
Ce chef mosellan, étoilé au Michelin sans rupture depuis 2009 n’a pas pour autant fait le choix de ce métier de façon naturelle. « Disons que c’est le métier qui est venu à moi et que j’ai su ensuite l’apprivoiser et l’aimer », résume-t-il. Et d’ajouter. « Mes parents bossaienttout le temps. Leur labeur, c’était ma liberté. Mais soyons honnête, leur quotidien ne me donnait pas envie de faire ce métier ».
Le virage qui va le faire venir en cuisine, c’est en mobylette qu’il va l’amorcer. Il a 14 ans et veut une deux roues motorisées « comme les copains ». Banco lui dit son père, « mais c’est toi qui va te la payer cette mob. Et pour ça, tu donneras un coup de main au restaurant les week-ends ». « Finalement cette expérience a été un révélateur. J’ai adoré rendre les gens heureux, j’ai adoré la liberté qu’offre la cuisine... », se souvient Bruno Poiré.
"La gastronomie, j’y suis allé pas à pas"
A la suite, il intègre l’école hôtelière de Metz et enchaîne les expériences chez Georges Blanc à Vonnas, puis au Buerehiesel à Strasbourg, deux établissements triplement étoilés au Michelin, avant de revenir à Languimberg en 1998. Commence alors en douceur une révolution de palais. Sa mère continue de travailler en salle, mais son père raccroche. « La gastronomie, j’y suis allé pas à pas. J’ai voulu essayer des choses et je me suis pris au jeu », résume le chef.
En 2009, quand on lui annonce que le Michelin lui a décerné une étoile, il tombe des nues. « Je n’étais pas préparé à ça. Et jamais je n’aurai imaginé intégrer ce cercle très fermé. Mais dès le premier jour, ça a totalement changé ma vie. Les producteurs, les vignerons, les professionnels des arts de la table, tout ce petit monde est soudainement venu à moi. Cette distinction m’a apporté un rayonnement que je n’aurais jamais eu autrement et en même temps elle m’a mis une forme de pression. Elle m’a imposé une remise en cause au quotidien »se souvient Bruno Poiré qui est resté assez traditionnel dans les menus qu’il propose avec les entrées froides, les entrées chaudes, les viandes, les poissons…
Ici pas question de faire des menus à l’aveugle. « On n’est ni à Paris, ni à New-York, mais à Languimberg avec une clientèle régionale qui a besoin de savoir ce qu’elle mange »,tranche le chef qui propose avant tout une cuisine classique, précise, généreuse, mais sans chichi et qui respecte le produit. « Pour moi un plat réussi c’est un produit, et un accompagnement avec un jus, une sauce ou une émulsion ». A l’image de cette Saint-Jacques délicatement cuite avec un jus de bouillabaisse accompagnée de choux raves confits. Ou encore de ce riz de veau braisé au réglisse avec sa poêlée de légumes.
Homard chaud-froid
On se régale de sa quiche lorraine déstructurée ou de cette étonnante caille royale accompagnée d’une fine tartelette aux champignons et aux truffes. Mais le plat signature de la maison, le seul à rester à la carte toute l’année, c’est ce homard chaud-froid, rôti d’un côté et en tartare de l’autre, chapeauté par du caviar d’Aquitaine. Au dessert, la partition est tout aussi maitrisée. Le riz au lait au caramel beurre salée réveille bien des souvenirs d’enfance. Quand ce chocolat lacté en ganache, servi avec une glace crémeuse au vieux rhum, fait voyager les papilles autant que l’esprit.
Cette cuisine inventive, mais sans excès est en constante évolution. « Parce que la remise en cause est une nécessité dans ce métier, mais aussi parce qu’apparaissent sans cesse de nouveaux produits, ainsi que des outils plus performants. Regarder les cuissons. Quand j’ai démarré le métier, il fallait avoir l’œil et maitriser le feu. Aujourd’hui, des robots permettent des cuissons au degré et à la seconde près »,souligne-t-il.
