
L’histoire de la Bouitte commence par un toit à réparer. Par amitié pour ses voisins, René Meilleur et son père s’en chargent. En retour, ils reçoivent un champ de pommes de terre, un lopin situé à 1500 m d’altitude dans un petit hameau des Belleville, l’une des portes d’entrée du mythique domaine skiable des trois vallées. Une aubaine pour René qui y construit en 1976 une bouitte (littéralement une petite maison en Savoyard). En vérité, un restaurant de poche où il propose une cuisine simple faite de fromages fondues et d’entrecôtes frites.
Cinq ans plus tard, c’est le deuxiéme acte fondateur. René Meilleur emmène sa femme Marie-Louise manger chez Paul Bocuse à Lyon pour fêter un anniversaire. Au milieu du va-et-vient incessant des serveurs, il comprend que son avenir est sur cette piste aux étoiles.
De retour dans son village, il change tout du jour au lendemain. Finies les raclettes et les fondues, place à la gastronomie. De culture besogneuse, l’ancien cuisinier des VVF se plonge dans les livres de recettes et apprend de ses erreurs, seul face à lui-même. En faisant parler son cœur, son intuition, il crée pas à pas un monde culinaire original, bien à lui, en revisitant des plats solidement ancrés dans l’histoire de la Savoie. Tout ce qu’il gagne, il le réinvestit dans l’agrandissement, le confort et la décoration de sa bouitte.
Une cuisine sans influence
1996 marque un nouveau tournant, son fils Maxime plombier de formation et ancien biathlète rejoint son père pour travailler au restaurant. Sept ans plus tard, ce duo atypique, autodidacte, évoluant hors des sentiers battus décroche une première étoile au guide Michelin. Puis deux, puis trois. Ils accèdent au pinacle de la gastronomie française avec comme seul bagage « le brevet BSP, comme brevet du bon sens paysan » souligne Maxime avec humour. Mais surtout, ils font tout ensemble : le choix des producteurs, la cuisine, les interviews.
« On n’est pas toujours d’accord, mais on se parle beaucoup et on parvient à chaque fois à faire la synthèse de nos différences » explique Maxime. Le résultat est bluffant. Leur cuisine singulière, brute, millimétré, est d’abord sans influence. « On adore ce que l’on mange chez les collègues, mais on oublie très vite pour ne pas risquer de faire la même chose » s’amuse René qui a rayé de la carte turbot, homard et autre bar pour leur préférer fera, omble chevalier et écrevisses des ruisseaux.
« Ce qu’on fait c’est d’abord une cuisine d’émotion, taquine mais gourmande, précise mais sans artifice. Elle invite au questionnement, mais surtout elle est savoyarde » insiste le binôme père-fils. En témoigne cette raclette revisitée, ou ce pigeon rissolé au poêlon et servi avec un ragoût de champignons. « Cette démarche locavore s’inspire aussi de nos souvenirs d’enfance. Et nous aide à construire une histoire autour de chaque plat pour dire aussi qui nous sommes et d’où nous venons. Notre travail consiste finalement à rendre un moment éphémère inoubliable » résume René.
Gestion en famille
Le duo est particulièrement réputé pour sa maitrise des poissons locaux à l’image de cet omble chevalier au beurre blanc nacré au génépi et accompagné de pousses de roquette poudrée. Mais il excelle également dans d’autres plats qui font la renommée de la maison comme l’escalope de foie gras sur galette de mais, accompagnée de miel d’acacia, d’une chapelure végétale avec son vieux vinaigre. Coté dessert, on se régale de cette mandarine avec son œuf à la neige moelleux ou encore de cette déclinaison atour du lait avec biscuit vapeur, tuile givrée, espuma, confiture de lait et meringue suisse qui est devenue le dessert signature de la maison.
Cet écrin de gourmandise est aussi doté depuis 2005 d’un hôtel 5 étoiles bâti de lauzes et d’ardoise, de pierres bleues de Savoie et de bois centenaires provenant pour partie d’anciennes bergeries. L’endroit, pensé dans le plus pur style savoyard abrite quinze chambres et suites, mais aussi plus récemment un spa, une boulangerie, un bar à vin... Le tout géré en famille et toujours pour le meilleur. Mais cette culture de l’excellence n’a pas empêché l’établissement de perdre sa 3ème étoile en 2024. » On sait que ça se joue sur des détails. On a compris certaines remarques du guide » souligne le duo bien décidé à rallumer « l’étincelle de leur cuisine » pour retrouver au plus vite les sommets.
