
Dès l’arrivée à Punta Arenas, l’une des cités les plus australes au monde, un rituel s’impose : toucher le pied de l’Indien de bronze jouxtant, au centre de la Plaza de Armas, une statue un tantinet pompeuse élevée en l’honneur de Magellan. Le geste porte, dit-on, bonheur. La capitale de la région des Magallanes et de l’Antarctique chilienne voudrait-elle ainsi se faire pardonner les méfais perpétrés jadis à l’encontre des peuplades originelles de ce « monde du bout du monde » cher à Luis Sepulveda ? Un petit tour au Musée salésien vous en apprendra plus sur les Tehuelche, Yamanas, Alakalufe et autres Selk’nam rayés de la carte, de leurs eaux, de leurs terres, pour laisser place, à la fin du XIXe siècle, aux colons venus d’Europe chercher ici fortune. Au cimetière qui mérite, lui aussi, le détour, les tombes colossales confirment en tout cas l’appât du gain et la soif de grandeur de ces pionniers conquérants. L’âme des peuples amérindiens n'en plane pas moins toujours sur les beautés naturelles de ces confins glacials. Quittons donc Punta Arenas, à la fébrilité pleine d’allégresse de sa jeunesse et à la dynamique activité marchande, pour y plonger sans retenue.
Dans la pampa australe
Direction Puerto Natales, 248 km plus au nord. Sur les immenses étendues de la pampa australe, dédiées à l’élevage ovin et bovin, on peut surprendre une Nandu, cette autruche des confins, ou encore une bande de guanacos sauvages, les cousins des lamas qui, plus au nord, promènent le même port hautain sur les chemins andins. Aussi longues et parfaitement entretenues soient les clôtures qui irritèrent les Indiens des origines, leur présence inscrit le mot liberté dans ce no man’s land herbeux.

Une estancia, ses toits de tôle et sa réserve d’eau, plantée tel un clocher, brisent de temps en temps la monotonie de paysages d’où émergent parfois le bleu d’un lac, le filet d’une rivière, un relief de pierre resté enneigé tout l’été en ses sommets. L’heure est en fait automnale, teintant de roux les arbres aux silhouettes forgées par le vent, fatalement courbées donc. Vers l’Est. Comme une soumission aux désirs du ciel, d’un ailleurs qu’on devine enragé, en tout cas rugissant.
Puerto Natales fleure bon l’aventure
Base de randonnées découvertes des parcs nationaux concentrant des petites et grandes merveilles de l’extrême Patagonie, Puerto Natales, bourgade lovée au bord d’un bras de mer intérieur, fleure bon l’aventure. Dans le détail d’une vitrine ouverte aux loisirs sportifs, dans la rencontre d’un groupe de marcheurs parfaitement chaussés ou d’un visage coiffé d’un béret à la basquaise et strié de rides qu’on sait dessinées et creusées par la rigueur du climat.
Ici pluie, neige, soleil et froid peuvent se succéder en un jour que fait chaque saison pour mieux sans doute perturber le voyageur, l’initier en somme à côtoyer le meilleur comme le pire. Au plan météorologique bien sûr, car pour ce qui est des hommes et de la nature, sourire et émerveillement vont de pair.
Le fjord de l’Ultime espérance !
En un de ces matins où frémit l’envie de braver l’inconnu, le ciel déjà se fait le messager des plaisirs qui vont s’offrir aux sens. La voûte étoilée dont la brillance avait séduit la veille, s’est métamorphosée en un patchwork de lumières aux étonnantes variations. Violet, mauve, orange, rougeurs teintées de rosée : l’aube déjà bien avancée a des allures d’aurore boréale. Elle est bien sûr australe, auréolant les reliefs de ces arabesques folles, fluides, vaporeuses.
L’Agunsa, bateau de la Compagnie 21 de Mayo, un navire cabotant entre estancias isolées et merveilles naturelles, réveille la surface de cette petite mer intérieure, flirtant avec le Détroit de Magellan. La destination est aussi précieuse qu’inquiétante. Elle a nom fjord de la « Ultima Esperanza » - l’Ultime Espérance » ! Il y a des relents de « Cités d’Or » dans cette traversée vers un ailleurs dont on pressent la magie. Car le charme opère dans le vol de condors jouant avec les courants aériens, dans une cascade glissant sur une roche qui en a vu d’autres en matière de copinages avec les éléments. Dans la courbure fugitive d’un arc en ciel attirant le regard sur un nuage en devenir, une forêt primitive, un glacier en sursis.
Au contact des glaciers
Car il est ici encore des glaciers. Pour quel lendemain ? Le Balmaceda en souffrance offre sa brisure dentée et bleutée, en un niveau bien trop haut pour être honnête. « Il y a quarante ans, confie le capitaine dépité, le glacier avait les pieds dans l’eau ». Il faut désormais porter le regard plus haut pour en partager les émotions intérieures. Le spectacle reste magique d’observer cette langue glaciaire creusant des veines à l’avenir incertain.
Plus loin, au détour du trajet menant vers le Serrano, un autre glacier qui se mérite après une petite marche d’approche, se découvre la vision des Torre del Paine, trois aiguilles de pierre emblématiques de la montagne patagonienne, comme l’est plus au nord le Fitz Roy. Faut-il toujours que les mythes touristiques naissent de ces cathédrales de pierre, alors qu’à l’abri des regards se révèlent quelques beaux trésors locaux : la Calafate, le Berbéris à feuilles de buis, un arbuste épineux aux baies de couleur bleu noir, en est un. Comme le partage d’un cordero al palo traditionnel, un agneau grillé au pieu à l’Estancia Perales. Décor là encore de rêve.
Une nature préservée
Dans le ciel aux nuages aussi noirs que peut être pur l’azur, les condors tournent toujours. Le fjord de l’Ultime Espérance qui fit espérer les Conquistadores fourbis résonne, lui, du fracas d’un amas de glace allant agonir dans le lac formé en ces dernières années de réchauffement climatique. Les sourdes détonations de la masse blanche ne font plus sourire le capitaine, craignant que ses petits-enfants ne soient privés d’une telle perle naturelle.
La Patagonie chilienne en cultive d’autres. Fragmentée qu’elle est en une mosaïque de lacs lapis lazuli, de volcans enneigés, de fjords prometteurs… bref d’atouts naturels à faire rêver tout écologiste militant, d’autant plus séduit que la moitié du territoire est protégé dans le cadre de parcs nationaux : citons le parcs O’Higgins, réputé pour ses glaciers, et plus au nord le magnifique Torres del Paine.
Coup de cœur
Torres del Paine : une cure de nature

Voilà un paradis de la randonnée et de la contemplation. Trois tours granitiques lui ont donné son nom Torres del Paine, Payne en mapudungun, la langue des Mapuche, signifiant bleu céleste. Le décor est donc planté dans ce parc national chilien de la province de la Ultima Esperanza jouxtant l’Argentine. Bleu du ciel donc où se meuvent les vols d’aigles et de condors, magnifiant les reliefs totems, bleu des lagunes, où se reflètent des sommets enneigés et se ramassent des cristaux de sel, bleu laiteux des lacs glaciaires, bleu en fusion des torrents. Dans ces espaces protégés, la biodiversité est tout aussi ouverte que la palette de l’indigo. Cinq cents espèces d’animaux s’y déploient. Ostensiblement tels les guanacos qui se comptent maintenant par milliers dans le Parc ; plus craintifs comme les lièvres de Patagonie aux grandes oreilles, les huemuls, le cerf du sud andin, les nandus, des autruches du cru ; carrément discrets, tel le puma concolor. Glaciers, cascades, zones humides, montagnes, forêts, zones désertiques engendrent tout autant une flore diversifiée. Un vrai régal pour le connaisseur ou l’amateur de beautés simples ou grandioses.
Entre le Parc et Puerto Natales, un autre monument naturel mérite le détour, la Cueva del Milodon, une grotte immense où un colon allemand du nom d’Eberhard découvrit en 1895 le squelette et des restes de peau d’un animal préhistorique, le Mylodon, un mammifère géant, apparenté au paresseux ! A proximité, une exposition propose la découverte des animaux contemporains du Mylodon il y a 9000 ans : le tigre à dents de sabre, le géant Perozoso, le cheval nain, le Macrauchenia, la panthère de Patagonie et… l'ours.