
L’enfance, c’est sûr, et les souvenirs des premières vacances familiales à la mer dans une Dauphine surchargée : les désirs de voyage prennent parfois vie dans un sigle, un chiffre, la chanson d’un fou chantant venus de loin. Pas loin d’égaler la longueur des « mille bornes » françaises, cette RN7-là s’étire sur 926 kms entre Antananarivo, la capitale de Madagascar, et Tuléar (Toliara), le port du sud bordant le canal du Mozambique. Autant dire que les paysages ouvrent d’autres horizons que la mythique « route bleue » française. Les couleurs - des champs, des rizières, des pistes latéritiques filant vers des reliefs polis par le temps - n’en sont pas moins vives, éclatantes même, comme vibrent les cœurs vivants des villages et des villes traversés aux noms insolites et sans fin : Andoharanofotsy, Ambatobevohoka , Ambohikambana, Fianarantsoa… La halte l’est tout autant, quand surgit l’obstacle tout aussi inédit : le chantier de réfection d’une chaussée qui certes le mérite, mais dont les cantonniers fabriquent sur place le goudron salvateur, ou un bus d’un autre âge bloquant l’artère vitale pour s’être engagé dans une manœuvre audacieuse de changement de direction et embourbé dans un fossé, voire un troupeau de zébus rejoignant un abattoir lointain, sous la garde enjouée d’un groupe d’enfants. Après tout, le voyage ne vaut que par les surprises, les émotions qu’il engendre. En cela Madagascar ne démérite pas. Personne ne s’en plaindra.
Anja et les Maki Catta
A hauteur d’Antsirabe, cité des hautes-terres réputée pour ses thermes, il faut délaisser la RN7, le temps d’une escapade d’une vingtaine de kilomètres vers l’ouest, le lac volcanique de Tatamarina et Betafo, ses thermes séculaires, une magnifique cascade, ses joueurs de… pétanque et ses lavandières. Le bâti - arcades et fer forgé - spécifique de l’architecture des hautes terres confirme l’intérêt du détour, comme la découverte du tombeau d’Andrianonitomponintany, le dernier roi du royaume d’Andratsay, ou les dialogues improvisés au cours de la balade.
Spectaculaires, les paysages prennent largement part à la séduction, que la main de l’homme ait agi, ou qu’il se révèlent dans leur beauté sauvage. Au sud d’Ambavalao, le magnifique massif rocheux d’Anja est de cette trempe. Une réserve naturelle communautaire, gérée par les villageois, ajoute au plaisir de la balade guidée, à la découverte d’espiègles lémuriens, des Maki Catta, et de niches funéraires creusées dans la roche granitique. Vie intense et respect des défunts se côtoient en une belle harmonie, entre sommets arrondis et forêt préservée.
Le Colorado malgache
Autre haut-lieu naturel à chérir est, à Ranohira, le parc national d’Isalo, dénommé « le Colorado malgache » pour ses formations rocheuses datant de 150 millions d’années, ses canyons et son relief ruiniforme. Une belle évasion en perspective. Au départ du Relais de la Reine et du Jardin du Roy, on peut suivre un parcours de randonnée d’environ deux heures dans un décor à couper le souffle, où se dessinent des formes étranges de têtes de coyotte, de renard ou de serpent, entre autres chien couché et masque de fer. Aussi ludique et tonique que pédagogique !

Les baobabs ont bien sûr leur place sur cette RN7, notamment sur le plateau Ihorumbe, entre Isalo et Tuléar, près du village d'Andranomaintso, et plus au sud dans le sanctuaire de la réserve de Reniala près du village de Mangily Ifaty. Un itinéraire documenté facilite la découverte. Et la chance vous sourit quand l’un d’eux est en fleur. L’océan indien tout proche est, lui aussi, l’occasion d’un contact éclairant avec la nature, cette fois dans les eaux émeraude et les fonds marins, riches en poissons et en coraux, à bord pourquoi pas d’une de ses pirogues vezo traditionnelles, à voile et à balancier. Sensations fortes garanties !
Toaka gazy, s’abstenir
Aussi riches et variées en soient les séquences, la virée ne serait rien sans l’omniprésence de l’homme et de ses activités parfois extravagantes, plus souvent nourricières ponctuant le trajet. Dans les bourgades animées comme au cœur de la campagne. En cela la RN7 sait aussi être généreuse. La mémoire en garde des escales hautes en couleurs. Reprenons donc la route vers la capitale pour s’arrêter d’abord à Andoharotsy, haut-lieu du toaka gazy, le rhum traditionnel distillé à même la chaussée - ou si proche - et à base de canne à sucre et de haronga, une plante endémique. L’air fleure (bon) les vapeurs d’alcool, à en faire exploser un éthylomètre. Mieux vaut passer son chemin.

La capitale mondiale du saphir
Plus loin sur le même plateau Ihorumbe, des milliers de chercheurs de saphirs occupent cette fois le pavé d’Andohanilakaka, où fut découvert en 1998 le plus grand gisement au monde de la précieuse pierre. A Manombo, au sud d’Ilakaka, ils s’activent dans le lit de la rivière, comme dans les mines des environs de l’ex-bourgade rurale en croissance continue, façon Far West. Les échoppes des négociants locaux et asiatiques, dont de nombreux Sri-Lankais et Thaïlandais, acheteurs de la « pierre bleue », y pullulent désormais. Pour les autres, garimpeiros toujours pleins d’espoir, la fortune reste aléatoire.
Des savoir-faire ancestraux
Autant chercher ailleurs. En route une forte odeur musquée aiguisera peut-être l’odorat et le regard vers une de ces distilleries ambulantes d’où coule une huile essentielle de géranium !
Mais Ambalavao se profile déjà avec une offre artisanale locale, digne d’intérêt. Une fabrique de papier Antemoro, créé à l’origine pour produire des copies du Coran, livre ainsi ses secrets ancestraux lors d’une visite instructive, où l’on apprend entre autres que l’avoha, un mûrier sauvage sert encore à le concevoir.
Dans le pays Bersileo, Fianarantsoa affiche, elle, une belle dynamique culturelle et gastronomique. La ville haute, ses ruelles pavées, ses maisons traditionnelles offrent en prime un panorama grandiose sur la région, réputée pour ses vignobles, les seuls du pays, ses plantations de thé et ses… fromages.
Plus au nord, Ambositra confirme l’habileté et la créativité régionales, via ses marqueteries et ses sculptures sur bois. D’autres savoir-faire s’invitent, quand les marchandes proposent tout sourire sur un parking coloré des miels rares, gousses de vanilles charnues, poivre noir et autres… fruits de pays ! Culture, nature et amabilité font à coup sûr bon ménage, des hautes-terres aux plages du sud-ouest, le long d’une RN7 sémillante à souhait.
Coup de cœur
Longue vie à l’arbre bouteille

Sa floraison est irrégulière. Alors la vivre, au détour d’un sentier de la réserve de Reniala, est autant surprise que plaisir. Une corolle aux longs sépales recourbés, rouges ou orangés, enveloppée d’une houppe de longues étamines jaune : le cadeau est parfait, quand en prime se dessine la perspective d’un miel rare et parfumé. A Reniala, signifiant en malgache « mère de la forêt », le baobab, ainsi dénommé, règne en star, quelle que soit sa singularité : gémellité, forme, dimension, espèce, l’île rouge en comptant six endémiques sur les huit recensées au monde. Arbre sacré, où les ancêtres sont censés vivre, le baobab est aussi dénommé « arbre pharmacien », « arbre bouteille », pour son tronc rempli d’eau, ou encore « arbre de vie ». C’est dire le respect qu’on lui porte. Qu’ils s’exposent comme à la parade du côté de Morondava, ou s’érigent, en solitaire ou en un trio complice, sur le plateau Ihorumbe aux abords du modeste village d'Andranomaintso, la majesté, l’élégance le caractérisent. En lien avec le ciel, l’arbre emblématique sait être protecteur, attentif aux humains qui le lui rendent bien. Même nain, quand il émerge, telle une amphore, dans le relief rocheux du parc national d’Isalo, il ouvre des horizons de longévité. A preuve le parc national de Tsimanapetsotse au sud de Tuléar abrite le doyen de l’île, à l’âge honorable de 1600 ans. On ne peut trouver mieux comme gardien de l’histoire et symbole de force et de résistance !