
Trois cousines, et non trois sœurs, sont les Pays Baltes, aux personnalités singulières. Comme le sont les capitales Vilnius (Lituanie), Riga (Lettonie), Tallinn (Estonie). A chacune son énergie, sa culture, son passé, ses légendes, même si des traits communs les relient l’une à l’autre. Pays d’entre deux, coincés entre l’Empire russe, puis soviétique, et une Europe qui fut, elle aussi, agressive, les Pays Baltes en portent les stigmates, au détour d’une forêt, sur un coin de rivage, à deux pas de la ville... Sans jamais oublier, car l’histoire, on le sait bien, n’est jamais totalement finie. L’invite est donc de partir à la découverte de ces témoins inscrits dans le paysage, objets d’un tourisme de mémoire certes, mais parfois décalé. Direction la Lettonie et l’Estonie, plutôt généreuses en la matière.
La seule prison ouverte aux touristes
Etes-vous par exemple tenté de passer une nuit en prison et d’en vivre les affres ? A Liepaja, Karosta propose ce service inédit. Uniforme, cellule obscure, discipline et lit de fer, interrogatoire... « Karosta est la seule prison militaire ouverte aux touristes en Europe », annonce la publicité. Edifié à l’aube du XXème siècle comme élément de l’hôpital tsariste, puis transformé en prison, lors des émeutes de 1905, le bâtiment de briques rouges conserva sa vocation carcérale jusqu’en 1997, successivement sous commandement impérial russe, letton, nazi, soviétique. C’est dire si le site développe quelque expérience en la matière. On y apprend aussi à sortir d’une pièce verrouillée en soixante minutes, à s’évader d’URSS ou encore à prolonger ce « jeu d’espionnage » sur la ligne de fortification nord ! La mer Baltique est là en effet, balayant de ses eaux une sorte de mur défensif, fait de blockhaus de béton, érigé en 1890, sous le règne du tsar Alexandre II, et aujourd’hui support apprécié des street-artistes.
Un drôle de parc d’aventure !

Toujours en Estonie, au nord-ouest de la vieille ville de Tallinn, la sinistre prison de Patarei inscrit son apparente rondeur, entre le Musée retraçant l’histoire navale de l’Estonie, le terminal maritime de Linahall et le quartier branché de Kalamaja. Construite sous les ordres du tsar Nicolas 1er, cette forteresse maritime fut convertie en prison de 1920 jusqu’au début des années 2000. La masse s’impose face à la mer, dont une clôture barbelée interdit l’accès. Avec les fils de fer tranchants, de bonnes âmes ont dessiné des cœurs, ouvrant des perspectives sur un ferry en partance pour Helsinki et la Finlande. Au programme glaçant de la visite guidée : la salle d’interrogatoires, des cellules obscures, la salle médicale (!), jusqu’à la salle de pendaison. Les sombres anecdotes de l’occupation nazie, de la mainmise soviétique, ne manquent pas.
La ville fantôme d’Irbené
L’histoire contemporaine transparaît aussi dans des coins plus reculés. Après Ventspils, en Lettonie, la 124 file le long de la Baltique vers le nord et le cap Kolka. Seul un village du nom de Pipiki sépare le vieux port letton de la ville fantôme d’Irbené, planquée au cœur de la forêt, une trentaine de kilomètres plus loin. Du centre radar secret Zvjozdocka érigé par l’URSS au plus fort de la guerre froide, seul un radiotélescope géant a résisté à l’abandon. Avant l’indépendance, des centaines de foyers, russes pour la plupart, y vivaient. Les anciens blocs collectifs de quatre, cinq étages, dressent leur carcasse sans âme : fenêtres dépouillées de leur châssis, balcons descellés, boiseries arrachées... Sur des toits plats encore vaillants, des arbres, aux audacieuses racines, côtoient des cheminées de briques sans objet. Si l’homme, c’est sûr, s’est largement servi, la nature reprend le dessus. Le temps fait, lui, son œuvre.
A vos risques et périls
A 70 kilomètres à l’ouest de Tallinn, le parc national de Lahemaa développe à l’envi ses forêts primitives, ses tourbières, le littoral verdoyant du golfe de Finlande. Sur la côte est de la péninsule de Juminda, la puissance militaire n’est plus que ruines. Depuis Loksa, il faut suivre la 283 vers le nord. 7,8 kilomètres plus loin, une voie à accès limité file tout droit vers Hara Sadam, le port d’Hara : une ex-base secrète sous-marine soviétique. Bien que payante, la découverte est « à vos risques et périls », indique un panonceau qui précise : « le quai risque de s’effondrer ». Cela dit, l’ambiance est là, égayée par quelques subtils graffitis colorés contre la guerre, les armes nucléaires, alors qu’un scooter des mers, façon James Bond, fend soudain les eaux. L’aventure est toujours au bout du môle.
Salaspils : un cœur bat pour l’éternité
Le respect le plus grand est, lui, de mise à Salaspils, à une vingtaine de kilomètres à peine au sud-est de Riga. De 1941 à 1944, dans ce camp d’extermination, des milliers d’êtres humains sont morts : prisonniers de guerre, civils ou soviétiques, résistants des pays baltes, de Biélorussie, de Russie, déportés de Bohême, tziganes, juifs issus pour beaucoup du ghetto de Riga... Parmi eux, douze mille enfants.
Un battement sourd se fait entendre. Un cœur, c’est sûr, bat pour l’éternité, en un rythme régulier, métronomique, quasi obsessionnel.
D’autres vestiges du passé ont trouvé matière vivante à recyclage économique de longue durée. A Riga, les anciens hangars Zeppelin allemands de la Première Guerre mondiale abritent ainsi le marché central. Sous ses quatre structures enrichies d’éléments de style néoclassique et Art déco et sur ses 3000 stands s’exprime une vie, bouillonnante, avec quatre-vingts à cent mille visiteurs par jour, friands des produits du terroir offerts à la vue, proposés à la vente : fruits de saison et fruits secs, légumes aux couleurs vives, fromages et laitages, champignons et baies de la forêt, poissons... Les pains sont également à la parade : blanc, noir, brun, marron, d’ambre de Limbazu, des champs, aux graines de lin, au tournesol, au son, à l’avoine, d’Arménie, d’Azerbaïdjan... Le choix est des plus ouverts, expression sans doute du désir local de s’ouvrir encore plus au monde.
Coup de cœur
Ligatne et la vallée de la Gauja
Des cinq parcs nationaux de Lettonie, le parc de Gauja a ma préférence. Sans doute pour offrir des ondulations prometteuses dans un paysage balte globalement sans réel relief, excepté le Suur Munamagi, la grande colline de l’œuf, sommet culminant dans le sud-est de l’Estonie à...318 mètres. A l’ouest de Sigulda, cité lettone réputée pour ses châteaux, la vallée de la Gauja a le mérite d’ouvrir des horizons nouveaux. Le courant est tranquille, en cette heure d’été, les îlots de sable et leurs herbes folles, les falaises de grès rouge, aux cavités protectrices, reflètent des mystères cachés, les rives forestières sont peuplées d’élans, de chevreuils, d’ours, de lynx, de loups, de chiens viverrins, de chouettes, aujourd’hui sous protection. On peut aisément y randonner. A Ligatne, (71 km de Riga), la papeterie qui, au 19ème siècle, a fait sa renommée n’est plus que friches. Non loin du village où, l’été, des familles lettonnes s’offrent volontiers un campement improvisé, un bac à traille ajoute à l’unicité du site. Le fond est plat. Vingt à trente mètres de la Gauja sont à franchir. La force du courant, l’habileté du « capitaine » finalisent la traversée d’un autre âge, mise en œuvre après la seconde guerre mondiale, suite à la destruction des ponts existants. Le site est l’occasion d’un excellent repas champêtre, en lisière de forêt, au Vihelmines Dzirnavas.