
Un Pipe band, ses sonneurs de cornemuse et ses batteurs, animent la place de l’Horloge. Le port de pêche est en effervescence. Sur les hauteurs, un monument en forme de Colisée, la McCaig’s Tower, veille, lumineux, sur Oban, sa distillerie, le front de mer, et sa massive cathédrale St Columbas. Décor, atmosphère, la mer et ses parfums d’aventure : les présages semblent favorables pour la traversée de la mer des Hébrides. Cap sur Barra, une des îles du sud de l’archipel des Hébrides extérieures. Ou 5h30 de navigation sur « l’Ile de Lewis », un ferry accoutumé aux alternances entre gros temps et brume de mer. Il ne sera pas déçu.
Un chapelet d’île, d’îlots et de rochers
Face à l’Atlantique Nord, l’archipel s’étire au large de l’Ecosse, en un chapelet d’îles, d’îlots et de rochers d’où émergent, du sud-ouest vers le nord-est, Barra, South Uist, Benbecula, North Uist, enfin Lewis et Harris, autant de destinations d’un voyage aux confins maritimes européens.
Posé au cœur de la baie depuis le 15ème siècle, Kisimul Castle fait face à Castelbay, bourgade paisible, à l’habitat disséminé dans la lande. Visiblement la menace n’est plus. A Barra, île arrondie, à l’unique route circulaire, pas moyen de se perdre, sinon les jours de grand brouillard. Les paysages sont rocheux, les étendues sauvages, les eaux translucides. Des silhouettes de moutons et de chevaux blancs se profilent dans la brume matinale, en une bonne entrée en matière pour qui aime l’air du grand large et la convivialité insulaire.
Un petit air de bout du monde
Dans la baie de Traigh Mhor, au nord de l’île, les rares bimoteurs en provenance de Glasgow atterrissent sur une plage, au gré des marées. Insolite, non ? Il faut poursuivre la route jusqu’au village d’Eoligarry, l’église Saint Barr’s, dédiée à un moine irlandais du VIIe siècle, et le cimetière cille Bharra, où l’éternité côtoie un petit air de bout du monde. Une chapelle abrite des pierres tombales médiévales et une réplique de la Pierre de Kilbar gravée d’inscriptions runiques. Souvenir du temps Viking ! Une petite visite s’impose alors, à deux pas de la distillerie de gin, au Barra Island Stores, le dépanneur de Castlebay aux excellents sandwiches, entre autres produits utiles du quotidien. Un vrai bonheur d’accueil ! Au sud de Barra, on peut rejoindre, via une digue et pour le plaisir des yeux, l’îlot habité de Watersay, ses plages de sable blanc, ses vues panoramiques.
Uist : plages, landes et machairs
Les trois îles de South Uist, Benbecula et North Uist, traversées sans recourir à la moindre navigation - des digues font l’affaire - s’ouvrent à vous. Depuis Ardmhor, à Barra, on rejoint l’île de South Uist en 40 minutes de traversée. Au programme, des plages immaculées et sans fin, des landes couvertes de bruyères, des machairs, ces terres fertiles entre océan et rochers, débordant d’orchidées sauvages, ou encore des lochs, salés ou non, ouverts aux jeux des dauphins, des otaries ou des loutres. Il faut se perdre, découvrir ici une exploitation artisanale de tourbe, là vers Stoneybridge une poussée de carex scintillant au soleil, plus loin des chevaux paisibles se protégeant d’un manteau des vents d’ouest. En pleine campagne aux effluves d’océan, le château d’Ormiclate dresse ses ruines austères. Construit en 1707 par Allan Macdonald, chef de Clanranald, il aurait été incendié en 1715, le jour de la mort de son bâtisseur au combat ! Courte et sombre destinée pour l’édifice qui, en ruines, conserve une silhouette altière. L’imagination joue sans doute.

Un pub chaleureux !
North Uist n’est pas en reste. A Locheport, voisin du Langass Lodge, un ancien pavillon de chasse aux chambres cosy, des loutres batifolent dans le loch Langais. Sur la colline, un caïrn néolithique, abritant une chambre funéraire, inscrit son dôme pierreux dans le paysage de landes et de lacs. Une extrême convivialité se partage, à quelques kilomètres, au Westford Inn, un pub à la gastronomie locale appréciée. Bonne soirée garantie, à condition de réserver.
Du port de Berneray, dominé par le lac de Ruisgarry, on trompera l’attente du ferry, en partant à la découverte de ce site apprécié des oies cendrées et des cygnes tuberculés, offrant qui plus est une vue incomparable sur la baie de Broadford, les îles environnantes et les collines de Cuillin. Ne pas oublier de se protéger des moustiques.
Lewis et Harris : un pouvoir magnétique
Deux noms pour une île, Lewis et Harris, la plus grande de l’archipel, sans doute encore plus riche en surprises, naturelles, culturelles, patrimoniales. On l’aborde par Harris au sud et ses paysages époustouflants, si inouïs que Stanley Kubrick les a choisis pour décor de 2001, l’Odyssée de l’espace. C’est dire leur pouvoir magnétique !
Cette île l’est, c’est sûr.
Dans l’éventail de ces rendez-vous magiques, le site mégalithique de Callanish est assurément l’un des plus précieux (lire Coup de cœur).
Non loin des pierres sacrées, au nord, dans un univers de bruyères fleuries, le Broch de Dun Carloway, une ancienne tour ronde, appelée aussi tour de vie, à la fois ferme nourricière et édifice défensif, construit en pierres sèches au 1er siècle après JC, est l’une des mieux conservées d’Ecosse. S’y devine volontiers le quotidien d’un clan sur ses gardes.
De rares figurines !
Puisqu’il est question d’Histoire, la grande, évoquons la petite - quoique ! A travers le sort fait aux figurines rares du Lewis Chessmen, un jeu d’échecs viking, gravé au 12ème siècle dans de l’ivoire de morse, et découvert en 1831 sur une plage de l’île. On peut en visualiser six d’entre elles à Stornoway, au musée blotti au pied du très victorien Lews Castle (à visiter lui aussi). On peut, c’est encore mieux, aller respirer les lieux de cette précieuse et énigmatique découverte, en l’occurrence la plage d’Uig. Elle confirme en tout cas la place prise jadis ici par les Etrangers-Gaëls, peuple aux origines gaéliques et scandinave qui domina au Moyen-Age la mer d’Irlande et l’Ouest de l’Ecosse.
Du Harris Tweed à l’état pur
En un retour tout aussi passionné dans le présent, impossible de ne pas partager un autre patrimoine, toujours vivant celui-là. Sur Lewis encore, toujours sur la côte nord-ouest, dans le village de Garenin où s’active Carloway Mill, le plus ancien moulin Harris Tweed au monde. Parlons tissus cette fois, Tweed donc. Pas question de se la filer douce. Les machines datent de 1892, la production est d’une qualité reconnue, la fabrique étant l'une des trois usines de textile en activité dans le monde produisant le célèbre tissu labellisé Harris Tweed. Ce dernier est fabriqué à partir de pure laine vierge, teint, filé et fini ici-même, tissé à la main sur des métiers à tisser traditionnels par les insulaires des Hébrides extérieures. Comment ne pas se laisser tenter par quelques pièces rares ? On arrosera cela un peu plus tard, avec modération bien sûr, lors d’une autre visite incontournable, celle de la distillerie Harris à Tarbert. Bon vent alors du côté de Skye et des Hébrides intérieures.
Coup de cœur
Callanish et ses faux hommes

Elles dansent dans le vent. Embrasant, depuis l’océan, les falaises, les lochs et les landes tourbeuses, le soleil couchant sublime leurs chevelures rousses et ondoyantes, leurs robes jaunes fleuries de couleurs estivales. Il fait froid pourtant. Un air glacial venu du large porte la lumière rasante à son paroxysme d’intrusion. En dépit de l’heure tardive, les pierres sacrées, plusieurs fois millénaires, érigées par des hommes en quête de verticalité, se livrent à nu, réveillent l’esprit. Insensible aux jeux enjoués des deux enfants, en communion méditative avec le cercle de pierres qu’elle parcourt à pas menus, une jeune femme, décline d’une voix intérieure des prières aux aînés bâtisseurs, si ce n’est aux dieux, nains, géants et dragons bienveillants.
En un ultime sursaut, l’incendie solaire inonde les pierres levées de Callanish, avant que la nuit, brutale, ne se nourrisse de vibrations à la sonorité haletante, émanant de l’autre monde. En fait, quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit, ressentir l’énergie magique des fir bhreig, les « faux hommes », se révèle une expérience unique. L’île Harris et Lewis ne se prive pas de livrer ses instants d’émotion et de beauté, ces voyages dans le temps, pourtant porteurs d’éternité. A découvrir à coup sûr, une fois la foule disparue. Au levant, au couchant, un jour ennuagé, ou solaire, les mouvements de pierres pas si figées que cela l’emporteront.