
Sans doute pour avoir côtoyé le pire, des villes développent une énergie hors du commun. Gdansk, la « Porte d’or de la Pologne », est de cette trempe. Les heurs et malheurs vécus depuis un peu plus de mille ans, entre des temps d’opulence et les heures les plus sombres, ont forgé un tempérament rare. On ne sort pas indemne d’avoir compté parmi les fleurons marchands de la Ligue hanséatique pour se retrouver exsangue, comme elle le fut en 1945. Energie, sens des réalités, fierté, attachement à la mémoire se mêlent alors en des élans forcément (re)constructeurs. Aujourd’hui la Perle de la Baltique brille à nouveau de tous ses éclats.
« Ni témérité, ni timidité »
« Ni témérité, ni timidité », affiche crânement la devise du blason de Gdansk. Les années 1970/1980 ont rallumé la flamme de cet esprit de résistance, au cœur même des Chantiers de construction navale où oeuvraient alors plus de 50 000 ouvriers, dont 17 000 sur le seul chantier Lénine. Là même où se forgea la lutte pour la liberté qui ébranlerait, jusqu’à son effondrement, tout un système.
En ces lieux emblématiques, les grues, docks, silos, hangars géants, dessinent toujours dans le ciel du nord leur géométrie acérée. Certains sont désormais muets. Peu importe, les vestiges sont là, incitant à rouvrir le livre d’Histoire dont les pages content le monde contemporain en mouvement.
Pour cela invite est faite de franchir les portes d’une imposante masse d’acier Corten, matériau résistant il est vrai aux pires conditions atmosphériques, comme aux épreuves du temps. La rouille n’est que façade, abritant, au sein du Centre Européen de Solidarité, inauguré en 2014, la mémoire de la formidable énergie qui, en août 1980, bouleversa le monde. Le voisinage symbolique de trois immenses croix, porteuses d’ancres, sacralise, lui aussi, l’hommage aux grévistes victimes des répressions d’alors.
1800 documents et souvenirs d’exception
A deux pas, la porte n°2 de l’ex-chantier naval Lénine, où tombèrent les premières victimes des manifestations de décembre 1970, arbore toujours sur ces barreaux la bannière de Solidarnosc, le syndicat libre qui naquit dix ans plus tard, le drapeau du Vatican et un portrait du pape Jean-Paul II. Il faut symboliquement la franchir pour ensuite s’immerger dans l’édifice de 26 000 m2, à l’architecture audacieuse figurant la coque d’un navire hors norme
Unique en son genre en Europe, le site mémoriel arbore une devise forte ; «« Connais l’histoire, décide de l’avenir ». Elle prend vie dans l’instructive déambulation à travers l’exposition multimédia qui, sur deux étages, fait revivre les événements libérateurs de l’été 1980.
L’Histoire s’appréhende ici de façon éclairée, documents écrits, filmés et audios, photographies (sans retouche), manuscrits, cartes, publications clandestines, journaux, témoignages, objets de l’art indépendant à l’appui, soit « plus de 1800 souvenirs exceptionnels. La mise en scène didactique des luttes du mouvement ouvrier, de Solidarnosc, des ripostes étatiques, des changements survenus ensuite en Europe Centrale et de l’Est, est aussi saisissante que passionnante.
La « Mémoire du Monde »
Un espace mérite particulièrement l’attention. S’y découvrent les « tables des 21 postulats ». Ces deux modestes tableaux de bois furent accrochés à la fameuse porte n°2 à la mi-août 1980, recueillant les revendications des grévistes. Ecrites d’une main assurée ou plus fébrile, elles exigent entre autres « la réintégration des militants des Syndicats ouvriers libres de la Côte, l’érection d’une statue dédiée aux ouvriers tombés en décembre 1970, la hausse des salaires et la garantie que les grévistes ne seraient pas réprimés ». La brûlante exigence d’améliorer les conditions de travail et de vie, la soif de liberté et des luttes à ne pas oublier inspirent, en rouge et noir, la dénommée « Mémoire du Monde », répertoriée sur la liste mondiale du patrimoine documentaire de l’UNESCO.
Sachez aussi qu’une bibliothèque, une médiathèque, des archives, des forums, des conférences de vulgarisation scientifique, des ateliers pour les familles, et les jeunes, entre autres expositions temporaires, concerts et débats, font œuvre de transmission, et s’avèrent lieux de plaisirs partagés. La chance vous fera peut-être rencontrer Lech Walesa, le cofondateur de Solidarnosc, ex-président de la république de Pologne, et Prix Nobel de la Paix 1983, qui y a ici un bureau.
Parfaitement intégré dans l’histoire et le paysage de Gdansk, le Centre Européen de Solidarité dispose, cerise sur ce copieux gâteau, d’une terrasse panoramique ouvrant à 360° sur le site portuaire et la Vieille Ville. De quoi embrasser un environnement où se cachent d’autres pépites !
Sainte-Brigitte : l’ambre sacralisée
Véritable sanctuaire du syndicat Solidarnosc, lors des événements de 1980, l’église sainte-Brigitte en Ville Vieille en est une. Des négociations secrètes furent menées dans la tour, et l’édifice, arborant toujours les bannières noires du syndicat, demeure lieu de commémoration. L’église n’abrite-t-elle pas la tombe de Jerzy Popieluszko, le prêtre militant assassiné en 1984, une collection de croix datant des grèves, un porche dont les bas-reliefs illustrent l’histoire du syndicat ?
L’autre attrait de la visite est autant d’ordre mémoriel qu’artistique. Etonnant de magnificence, un autel d’ambre y est toujours en création. Puisque Gdansk rime avec résistance, ne pas hésiter à faire un petit détour, à deux pas, pour découvrir le Musée de la Poste et un imposant monument, dédié à la résistance aux troupes allemandes, qui, le 1er septembre 1939, attaquèrent l’édifice.
Sachant que le destin de la cité polonaise est liée à la mer, et à son port, s’offrir une croisière sur la Vistule vers la péninsule de Westerplatte a du sens. L’activité reste intense le long de la douzaine de kilomètres qui séparent Gdansk de la mer. Signe des temps, les chargements de sucre d’hier laissent la place aux transports d’éoliennes produites à deux pas. L’Histoire n’en refait pas moins surface quand se découvre face à la Baltique l’imposant monument de granit, érigé en mémoire des défenseurs de la côte face aux premières attaques des troupes allemandes en 1939. La Résistance encore, un maître-mot toujours !
Coup de cœur
Sopot, môle et maison tordue

La balade libre à Gdansk, le nez en l’air, entraîne dans une sorte de tourbillon architectural où s’expriment les influences flamandes, hollandaises, prussiennes, les styles gothique, renaissance et baroque. Nombreuses sont les haltes qui s’imposent : la Basilique Mariacka et sa très populaire horloge astronomique ; la maison d’Artus, celle des riches marchands d’hier ; la rue Mariacka et ses boutiques d’ambre ; la grue géante médiévale sur la rive de la Motlawa… A une douzaine de kilomètres de là, la station balnéaire de Sopot qu’on peut relier par train, développe un autre charme, un rien suranné ! Quoique l’animation y soit vive, jeune, voire branchée. Son symbole ? Une jetée de bois dont la première mouture date de 1829 et qui s’étire désormais sur près de 512 mètres, ce qui en fait la plus longue d’Europe. Un lieu de balade plus qu’agréable au contact de pécheurs aimables, de familles humant l’air du large, de couples en mal de photos, de plaisanciers affairés. Sur la plage les façades blanches des hôtels de luxe se dessinent harmonieusement. Toute proche, sur la rue Bohaterów Monte Cassino qui traverse le centre, cafés, restaurants et boutiques s’animent volontiers, notamment une étonnante Maison tordue, que l’on doit aux architectes Szotynski et Zaleski, adeptes du « surréalisme » et inspirés par des dessins oniriques. Le rêve n’est pas loin en effet.