
Ici ni plage farniente, ni hôtel all inclusive. Entre Santo-Domingo, la capitale, et Santiago de los Caballeros, au nord, les collines entourant Bonao respirent l’énergie. Leurs richesses naturelles la méritent. Ici fut découverte la première mine d’or de Saint-Domingue. Mais ce n’est pas tout. La végétation est luxuriante, les vergers opulents, comme les rizières et les plantations de cacao, de café ou de banane. Sur ce terroir généreux, une autre pépite désormais mondialement connue doit tout à quelques audacieux pionniers : le tabac, à cigare, on s’en doutait. Autant dire que la découverte est tout à la fois plongée dans l’Histoire, aux relents d’aventure, dans le partage d’un savoir-faire précieux, et bien sûr dans un plaisir abouti. Le pas de côté, loin des artifices balnéaires, ne peut que réjouir, sachant que, leader mondial du cigare haut de gamme, la République Dominicaine produit bon an mal an 210 millions d’unités premium exportées, soit 42% de part de marché. Bienvenue chez les barons du cigare dominicain.
La « Catedral del tabacco » !
Carlito Fuente dont les produits ravissent les amateurs de toute la planète, est l’un d’eux. Dernier acteur d’une saga familiale née à Cuba, au début du XXe siècle, poursuivie, non sans à-coups malheureux et destructeurs, incendies, guerre civile…, à Tampa aux Etats-Unis, puis au Nicaragua, pour s’épanouir pleinement en République Dominicaine, au début des années soixante, son entreprise, riche de plus de mille salariés, produit environ 35 millions de cigares de luxe par an, dont le fameux Arturo Fuente Opus X. A Santiago de los Caballeros, la Cuidade Corazon, appelée aussi «la ville du cœur », car située au centre de la vallée du Cibao, la « Catedral del Tabaco » en est le moteur.

La façade est blanche, le fronton triangulaire. A l’entrée, deux sphinges statufiées veillent, entre deux colonnes. Se découvrent alors un jardin intérieur, sa fontaine, ses palmiers, ses balcons, les premières tables à rouler, avant de pénétrer dans les salles de production dédiées à chacune des précieuses gammes de cigares maison, d’en découvrir les chambres de vieillissement aux parfums rares. Cathédrale !
Opus X, Davidoff, Chisel, Balmoral
L’analogie avec l’édifice religieux n’a rien de vain. Une lumière, c’est vrai, émane de la manufacture, magnifiant les gestes précis des coupeurs, les façonneurs de cigare, une clarté sans éclats, propice à la concentration. Quel esprit bienveillant a-t-il guidé les Fuente pour sanctifier ainsi le cigare, écrire ses lettres de noblesse, tirer de la nature sa sublime quintessence ?
D’autres hauts-lieux de production s’ouvrent plus largement à la visite, à Santiago, ou ailleurs dans le pays. Si Arturo Fuente est réputé pour les premiers puros dominicains jamais produits dans l’île, dont le fameux Opus X Double Robusto, d’autres professionnels oeuvrent à confirmer l’extrême qualité locale. Citons les Davidoff de Villa Gonzalez, le Chisel de La Flor Dominicana à Santiago, les premium Balmoral d’Agio à San Pedro de Macoris…
Aller à la rencontre de l’excellence passe également par la découverte des fermes tabacoles, les ranchos aménagés pour le meilleur. Les granges de séchage au toit couvert de palmes inscrivent leur géométrie triangulaire dans le paysage ondulé et verdoyant. La répartition des feuilles de tabac, suspendues sur toute la longueur de la charpente est minutieuse. Bénéficiant d’une humidité idéale dans ces « véritables temples du tabac », comme les nomme Carlito Fuente, chaque feuille a la capacité de s’épanouir au mieux. Bref elles respirent, pour donner plus tard le meilleur d’elles-mêmes.
Dans les collines de Bonao, le Château de la Fuente les côtoie avec bonheur. Organisé chaque année en février par les meilleurs professionnels, le festival Procigar ouvre l’opportunité de le découvrir. Ambiance musicale cubaine, architecture coloniale, l’évasion est garantie.
La Fondation Cigar Family Charity
Plus loin, sur la pelouse de la propriété entretenue tel un green de golf, des parterres de graviers dessinent une série de drapeaux : l’étoile blanche sur fond rouge cubaine, la bannière rouge, bleu, à croix blanche de la République Dominicaine. L’Italie, l’Europe, la Russie, la Chine, les Emirats Arabes Unis, le Vietnam, le Nicaragua sont du décor minéral. Au centre, faite de galets blanc et bleu, une étoile de David, avec en arrière-plan bordant une ceinture arborée fuyant vers les collines au vert tendre sept lettres rouge monumentales A. FUENTE. L’histoire familiale a dicté le choix des motifs. La famille et la clientèle, car la renommée des Fuente dépasse depuis longtemps les frontières de la République Dominicaine.
A deux pas du domaine, plus de cinq cents enfants des communautés rurales de la région de Bonao rejoignent chaque jour les écoles primaire et secondaire construites par la Fondation Cigar Family Charity où Carlito s’implique fortement. Cinq d’entre eux intègrent chaque année un cursus universitaire. Inédit pour la région et son niveau de vie plus que modeste qui freine l’ascension sociale. Transports, uniformes, livres, repas : tout est fourni dans un complexe doté d’un centre de santé, d’une installation sportive et récréative. On peut colporter de par le monde les arômes subtilement épicés du grand luxe, tout en pratiquant des partages plus terre à terre.
Coup de cœur
Gualey, Santo Domingo sans fard

S’il est bon de côtoyer l’excellence, le voyage est aussi invite à partager la simplicité, la réalité du quotidien d’un pays. A Santo-Domingo, où les patrimoines à découvrir ne manquent pas, telle la ville coloniale -son centre historique - riche en la matière, direction Gualey, un quartier populaire du nord-est de la capitale, tenant du bidonville et jouxtant le fleuve Ozama. Son autre particularité est d’abriter la gare de départ du téléphérique urbain relié au métro et desservant sur 4,2 kilomètres quatre stations entre le centre-ville et la périphérie est. Si le coup d’œil, depuis la télécabine, est saisissant, rien ne vaut une immersion dans les ruelles en pente de Gualey pour palper la solidarité ambiante, l’intense appétit de vie, en dépit des manques apparents. Ici un vieil homme à casquette rouge élève à même la rue son coq de combat, là Raul, le barbier, affiche complet. Une femme prépare des beignets de manioc à l’huile. Plus loin un groupe de jeunes Street Dancers occupe le pavé. Des enfants au regard espiègle sont tout ouïe. Car la musique s’invite aussi sous la forme d’un vieux barde tropical, guitare en main, chantant un tube cubain.
Une église évangélique pentecôtiste s’est immiscée entre une épicerie, le colmado Dinely, et un marchand de glaces. « Jésus est ton meilleur chemin », annonce un slogan peint en rouge sur un mur au bleu délavé, sous les télécabines flambant neuves dominant en hauteur ce gentil désordre. Couleurs vives, sons libres, cris, pétarades. Non loin du fleuve, un homme s’affaire dans un bassin à poissons que côtoie une décharge à ciel ouvert. Faut-il s’embarquer sur une barque au vert vif à moteur filant sur l’Ozama ? Le voyage a déjà livré de belles tranches de vie.