
L’ouest vosgien n’a rien à envier à la montagne qui, à l’est, aimante le touriste. Dans la Plaine, les stations thermales de Vittel et de Contrexéville ont eu, elles aussi, leurs heures de gloire. Dans les pré-Vosges du sud-ouest, la contrée de la Vôge, quoique moins connue, ne manque pas de séduire. Naturelle et vallonnée, verte et forestière, elle abrite quelques sites propices au voyage intérieur. Dans le passé, les ermites ne s’y étaient pas trompés. Partir sur leurs traces, hors du temps et du monde, procure assurément du plaisir. Simple, sain, sans artifice, donc forcément bénéfique.
Bonneval et son prieuré
Au XIIe siècle, Wichard, frère d’Engibald, lui-même fondateur du prieuré d’Hérival près du Val d’Ajol, dans la montagne vosgienne, jette son dévolu sur un petit coin du domaine des sires de Saint-Baslemont pour s’installer à l’écart du monde. A la limite de la Vôge, le site a nom Bonneval. Plutôt prometteur ! La forêt, comme aujourd’hui, campe le décor. Moins conquérants que les hauteurs montagnardes, les reliefs, avoisinant les 400 mètres, ne détestent pas les inclinaisons touffues. En contrebas un ruisseau coule paisiblement. Quiétude assurée ! Chérie des dieux, comme des êtres enclins à la prière et la méditation, la région s’avère propice à de telles retrouvailles spirituelles. Non loin de là, Chèvre Roche, dans le vallon dit des ermites, abrite ainsi en son sommet les restes d’une chapelle et d’un autel. Il se dit que la méditation n’était pas la seule occupation d’alors. Taillés dans la roche, les abris sommaires recelaient le fruit de larcins commis auprès de trop curieux voyageurs. Se ressourcer rimait ici avec détrousser ! Les voies de Dieu sont parfois impénétrables. A Bonneval pourtant, la vocation religieuse s’affirme. Rapidement soumis à l’ordre augustin, animé d’une inspiration à la fois cistercienne et bourguignonne, l’ermitage devient prieuré.
La Roche des douze apôtres
Du site monastique, développé au XIIIe siècle, sous le regard bienveillant des sires Odon et Dudon de Saint-Baslemont, il ne reste aujourd’hui, au cœur de la forêt, que ruines. De toute beauté, bercé par le chant des oiseaux, elles témoignent qu’un projet, fût-il conduit loin de tout, peut s’ouvrir au monde. Trois fenêtres en plein cintre signalent le chœur de l’église, deux ogives sentinelles, la voûte en berceau de l’absidiale donnent le ton architectural. Roman, c’est sûr. Teinté aussi de gothique et de… byzantin, certains arcs outrepassés confirmant cet orientalisme inédit en terre vosgienne, en un lieu jadis cher au peuple celte. En témoigne la présence à deux pas d’un oppidum. On ne peut de toute façon que succomber au charme spirituel de cet apparent désordre pierreux.

Non loin de là, une autre surprise certes moins divine, plus récente, mais tout aussi empreinte de spiritualité, se révèle au détour du chemin : la Roche des douze apôtres, dénommée aussi la Belle Roche. On la doit à Dominique Plancolaine, un tailleur de pierre local du XVIIIe siècle, habile à métamorphoser un bloc de grés rose en une magistrale ode à la foi. Un haut-relief dessine dans la pierre usée et moussue les séquences de l’enfance et de la passion du Christ. Quant à l’église romane du tout proche village de Relanges, érigée dès le XIe siècle, reconstruite pour partie au XVIe siècle sous influence gothique flamboyant, elle dessine dans le ciel sa silhouette aussi puissante qu’harmonieuse.
Les puits de Saint-Martin
Pour qui aime se confronter à de tels lieux inspirant les peuples premiers comme les religions établies, direction le Void d’Escles et le vallon Saint-Martin, dit également vallon druidique, au-delà de Darney vers l’est (12 km). Traversé par le Madon, ce massif forestier fut, lui aussi, refuge d’ermites. La première présence humaine date de l’époque préhistorique, bien avant la christianisation de la région que perpétue une chapelle. L’eau y fut vénérée à la fontaine Sainte-Claire pour ses vertus miraculeuses contre les maladies des yeux. La grotte aux puits dite de Saint-Martin est source, quant à elle, de débats. Les vasques témoignent-elles d’un ancien culte celtique dédié à l’eau, les puits faisaient-ils fonction d’abri ou servaient-ils l’exploitation d’oxydes métalliques, voire de glacière ? Le mystère reste entier. Et c’est tant mieux. Lors de la balade, on peut aussi découvrir les ruines d’un ancien moulin, une ancienne carrière de meules, ou encore le cuveau des fées. Rien d’étonnant !
Que vivent les Kemottes !
Plus prosaïque est la halte à l’ancienne féculerie Les Kemottes au Moulin Gentrey, à Harsault (La Vôge-les-Bains). En patois local, Kemotte signifie patate. Un tubercule précieux à la fin du XIXe dans cette vallée du Coney en particulier et les Vosges centrales en général, puisqu’il faisait la richesse des agriculteurs et alimentait, une fois transformé en poudre blanche, les industries textiles et papetières. Tel est tout l’attrait d’une visite du Moulin Gentrey et de son musée, véritable immersion dans l’atmosphère artisanale d’hier, tout en ouvrant les horizons sur d’autres métiers, tels que bourrelier, cordonnier…
Darney et ses couverts de haute qualité
Toujours à l’est de Darney, centre névralgique de cette découverte, on retiendra aussi la Ferme-Aventure à La Chapelle-aux-Bois, un parc d’aventure familial, le premier parc pieds nus de France, où il est aussi question de se perdre dans des labyrinthes végétaux, de partir à la rencontre de druides, entre autres Escape Game et nuits insolites.
A Darney même, l’opportunité est donnée de s’approvisionner en couverts de haute qualité au magasin de la fabrique des Couverts de Mouroux, une entreprise du patrimoine vivant, fruit d’un savoir-faire local né au début du XIXe. Les pièces en argent massif, maillechort argenté et acier inoxydable 100% français, y sont « toujours fabriqués comme savaient le faire nos aïeux ».
Quant aux férus d’Histoire ou d’Europe, ils peuvent méditer devant le monument franco-tchécoslovaque et sa flèche de 32 mètres pointant vers le ciel, tout simplement parce que fut proclamée, ici même à Darney, un certain 30 juin 1918 la (recon)naissance de la Tchécoslovaquie, et en cela le droit à l’indépendance et à la liberté des peuples tchèque et slovaque. Les voyages sont toujours instructifs.
Coup de cœur
Une cathédrale à ciel ouvert

Gratuit, mais si cher… au cœur de qui cherche à s’évader. Discret, à la sortie de Darney, sur la route filant vers Bains-les-Bains, mais œuvre magistrale unie à jamais à la forêt. Le Domaine Guillevic ne peut qu’envoûter. On doit cette œuvre unique et plurielle à la fois au sculpteur Yves Humblot, maître dans l’art de donner vie à la pierre. Les mouvements, les élans s’échappent des parois et du sol de la carrière-clairière, en des monuments vibrant d’une énergie quasi palpable. Sphères, spires, colonnes : voilà une « cathédrale à ciel ouvert », dit-on de ce site rare. Il inspire les poètes, tel Eugène Guillevic, le Breton ami de l’artiste, à qui il doit son nom et qui en tira un ouvrage « Yves Humblot, pierres sculptées » ; il pousse à la balade méditative ; il stimule, c’est sûr, l’imagination. Car en dépit des pièces maîtresses, imposantes, taillées, sculptées, polies dans le grès, ou plutôt grâce à elles, une légèreté occupe la place. Rien ne semble figé, paraît au contraire en perpétuelle métamorphose. Et l’énergie qui fut ici déployée par Yves Humblot, rime, c’est sûr, avec alchimie, en un lieu ouvert à tous les vents comme à tous les mondes : là-haut, ici-bas, ou dans les plus insondables profondeurs !