
Prendre place, l’esprit libéré de toute contrainte, se laisser surprendre par le coup de sifflet - réel ou imaginé ! - vite suivi des premières saccades du train en partance. L’agitation des quais n’est plus. Oubliée la superbe verrière de la gare centrale de Prague, comptant parmi les plus beaux édifices Art nouveau en Bohême. Oubliée la flânerie nocturne, la veille, dans un centre historique agité, et si généreux en monuments, en architectures. Déjà la banlieue défile. Quartiers populaires, entrepôts, usines, prémices d’une nature domestiquée qui peu à peu se fondra dans la platitude verte où gambade une harde de biches et de faons, puis des collines bercées par une rivière, des forêts en réveil. Voyager en train est à la fois reposant et excitant, par les scènes de vie surprises, les jeux d’ombre et de lumière nimbant un paysage, une entrée en matière(s) en douceur dans un territoire, sa nature, une culture. Cette fois la Moravie. A trois heures de train de Prague, le château de Spilberk et Brno, première étape de ce périple ferroviaire, se profilent déjà.
Brno, capitale de la Moravie
Une des singularités de la capitale de la Moravie tient à sa capacité à proposer des balades, en prenant de la hauteur ou en plongeant sous terre. L’Histoire l’a voulu ainsi. S’y découvrent donc en surface le château de Spilberk, la cathédrale néogothique Saint-Pierre et Saint-Paul, la tour de l’Ancien Hôtel de Ville, le marché aux légumes, un légendaire et improbable dragon, qui vagabondait, pour ce qui le concerne, entre terre et ciel, et… sous terre l’Abri antiatomique 10-Z et les catacombes !
Protectrice hier, la forteresse de Spilberk se veut désormais culturelle. Un ancien réservoir d'eau du château prévu pour alimenter la ville en précieux liquide, s'est métamorphosé en musée. On y entre en communion avec des vestiges de l'église Saint-Nicolas, détruite pour engendrer la place de la liberté et son tramway. Dans les profondeurs du château, des cachots réveillent de plus sombres souvenirs. On ne peut qu’avoir une pensée pour celles et ceux qui y ont rêvé de liberté.

Le sous-sol du centre de Brno abrite deux autres sites souterrains dignes d’intérêt : des catacombes, où sont exposés les ossements du cimetière de l’église Saint-Nicolas, ainsi que le Bunker 10-Z, un abri-antiatomique datant de l’époque communiste. La plongée est saisissante et ouvre la réflexion sur l’ineptie de toute guerre, froide ou chaude d’ailleurs, et la capacité étonnante de l’homme à s’y accoutumer !
Sur la route des vins
Il y a pourtant mieux à penser. Etudiante et branchée à souhait, la capitale de la Moravie, ne manque pas de célébrer les vignobles de la région dont elle est l’attractive porte d’entrée. Une petite virée, au sud, sur la route des vins, intégrant la bourgade de Mikulov, capitale du vin morave, et le château baroque de Valtice, n’est pas à exclure. Ce dernier abrite une cave d’exception pour qui entend découvrir les crus locaux, visite guidée et dégustations à l’appui. Nombreux sont en tout cas à Brno les restaurants, pubs, bars de jour ou de nuit à vanter les mérites des boissons régionales, vin, bière et « turmobost », un jus de pomme et alcool chaud du même fruit relevé d’épices, confondus, le tout à tester avec modération bien sûr.
Olomouc et la fête aux fromages
Deuxième étape, Olomouc, en Moravie toujours, à 64 km et environ 1h30 de train de Brno. Cette cité historique de Moravie fête en ce début avril le Tvarusky, un fromage local au parfum prononcé, en un très populaire festival gastronomique, et un gentil brouhaha familial que trompe, à midi pile, le carillon de l’horloge astronomique, rivalisant en séduction avec la toute proche colonne de la Sainte-Trinité honorée par l’UNESCO.

L’âme de l’archiduchesse Marie-Thérèse d’Autriche plane de toute façon sur le riche patrimoine architectural : la Cathédrale gothique Saint-Venceslas, les fontaines baroques de la place Dolni namesti, le Palais de l’Archevêque ou encore l’église Saint-Michel et la… Villa Art Nouveau Primavesi. Un double régal ! Gustatif et visuel.
Le monument de la Révolution (de velours 1989) - ou 85741 clés citoyennes chargées de symboles pour un monde toujours à construire - fait face aux vestiges de remparts d’un autre âge. La Fayette, le Français ardent à épouser les causes les plus nobles, quoique républicaines, se perdant dans une forêt proche, fut ici emprisonné.
Flânerie à Pardubice
Retour au sentiment de liberté que procure une telle virée en train, avec la troisième étape à Pardubice, en Bohême orientale En 1h10, la cité morave est ralliée. Réputée par son Grand Steeple-chase d’octobre, elle incite avant tout à la flânerie. Les ruelles de la vieille ville baroque à souhait, dominée par la « tour verte », y sont propices. Le parfum du pain d’épices, spécialité locale remontant au 16e siècle, flotte. Sur la place Perstynska, les demeures aux façades baroque ou Renaissance régalent, comme le château tout proche, gothique quant à lui, que protègent des paons criards. Mais d’autres élans créatifs se sont exprimés. Ici une façade médiévale, là une autre sur plâtre mettant en scène Jonas et « sa » baleine. Josef Gocar et le mouvement cubiste s’y expriment également.
De rares chevaux d’attelage cérémoniels
La balade confirme en tout cas une certitude déjà acquise à Prague : pour ne rien en perdre, elle se déroule les pieds sur les pavés et le regard vers les hauteurs, sachant qu’à quelques kilomètres, d'autres pépites s'inscrivent dans le paysage. Le haras de Kladruby nad Labem, le plus ancien d’Europe, créé en 1563 par Maximilien II, empereur du Saint-Empire, est toujours en activité. Un pas de côté à ne pas rater. Classé sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, le site est lieu d’élevage et de dressage des magnifiques Kladruber, des chevaux d’attelage cérémoniels internationalement réputés ! La visite ne déçoit en rien. Outre des étalons à la blancheur immaculée, on peut découvrir dans ce complexe néo-classique un château où plane l’ombre de Sissi, une remise aux carrosses et traîneaux de grande valeur, une campagne tout aussi avenante qui a visiblement ravi les chevaux de retour de balade.
La nôtre prend fin, non sans un ultime trajet enchanteur, puisque rejoignant en une heure Prague et ses petites et grandes merveilles.
Coup de cœur
Prague et ses cafés totems

Lieux et temps de création, d’innovation, voire de transgression, les empreintes architecturales de Prague sont si riches, si variées. Limitons-nous ici à ces lieux d’échanges qui, témoins ou non de l’Histoire, animent encore et toujours la capitale tchèque, parlons donc de ses cafés totems. Le Slavia, et ses grandes baies vitrées ouvrant sur la Vltava, associent à son style fonctionnaliste des éléments Art Déco. Les écrivains, poètes et artistes aimaient s’y retrouvaient pour refaire le monde. Vaclav Havel et les intellectuels de la Charte 77 ne furent pas les derniers à y organiser la dissidence. Il faut aussi s’arrêter, sur la Poříčí, à l’Hôtel Impérial et se poser dans son café Art déco, aux céramiques précieuses, qui accueillit jadis Joseph Kafka. Une nature sublimée y communie avec l’art. Une autre adresse Art Déco est à noter, le café Lucerna au cœur du passage du même nom. Dans le centre historique, l’une des pièces maîtresses et pionnières (1912), signée de l’inventif architecte JosefGočár, a pour nom la Maison de la Vierge noire, au coin de Celetná, rue commerçante et chic de la Vieille Ville, et de la rue Ovocný. Musée, boutique de design et Grand café d’Orient : ici tout est résolument cubiste. Citons encore le Café national, sur la Narodni, rendez-vous de l’élite culturelle tchèque dans les années 1920 et toujours d’une finesse exquise. Dans la même rue, au 22, Einstein préférait se poser au Café Louvre, et son décor or, rouge et crème. Une halte Art nouveau privilégiera l’Obecní dům au rez-de-chaussée de la Maison municipale.