
Une « cité modèle », pour destination de vacances ! Pourquoi pas ? A l’heure où nombre de citoyens s’interrogent sur le bien fondé de certaines initiatives en matière d’urbanisme, dans leur propre ville, l’idée est loin d’être absurde, d’autant plus quand les lieux disposent d’atouts attractifs pour agrémenter la découverte touristique. Au Brésil, cette perle rare a pour surnom « la cidade da gente », « la ville des hommes ». Entendons des « humains ». Plantée à l’intérieur des terres à 900 mètres d’altitude, à une centaine de kilomètres de l’Atlantique, la capitale du Parana, un état du sud du pays, en abrite plus de deux millions. Bienvenue à Curitiba qui, depuis plus d’un demi-siècle, joue la carte sociale et environnementale. A l’heure où nombre de mégapoles dans le monde sombrent dans les affres de la violence et de la pollution, on doit cette réputation somme toute prometteuse à Jaime Lerner, architecte et urbaniste de son état, et élu éclairé. Une ligne directrice suivie depuis par ses successeurs, personne ne s’en plaindra.
Déjà au XVIIIe siècle !
Mais remontons d’abord, un peu avant, dans le temps, en 1693, année de la fondation par les Portugais de Villa de Nossa Senhora da Luz dos Pinheiros (Ville de Notre-Dame de la Lumière des Pins) qui doit son nom plus tardif (en 1721) à la langue Tupi, le peuple amérindien de la côte brésilienne, à savoir Curii Tiba, « la ville des pins ». En référence au fameux araucaria local, ressource sacrée pour les autochtones et préservée dès l’origine par les nouveaux maîtres des lieux, en particulier le médiateur Rafael Pires Pardinho, autorité de la couronne portugaise, également favorable en ce début de XVIIIe siècle au tracé de rues larges. Le ton était donné.

De ce passé pionnier subsiste, aux abords de la cathédrale, le Largo da Ordem, centre historique et vivier culturel de Curitiba. Nombre de cafés, galeries d’art, restaurants contribuent à l’attrait de la balade. Le dimanche matin, l’architecture coloniale abrite les couleurs d’un marché animé où s’exposent créations artisanales, objets d’art, antiquités et… nourriture et vêtements. Ambiance festive, à la brésilienne, garantie, tandis que le quartier invite aussi au souvenir d’une terre ouverte à l’immigration, via notamment le Palais Garibaldi.
Une des sept merveilles du Brésil
Un propos largement confirmé via la découverte de la place du Japon, du Bosquet des Allemands, ou encore des Mémoriaux arabe, polonais ou de l’immigration ukrainienne. Ville verte, avons-nous dit. La balade le confirme, Curitiba laissant une large place aux parcs - plus d’une trentaine – et à plus de 350 places publiques et squares arborés, soit environ 50m2 d’espaces verts par habitant. A deux pas du centre, le Jardin Botanique, considéré comme « une des sept merveilles du Brésil », en est la plus resplendissante illustration. Sur plus de 27 hectares, le site, des plus populaires, est conçu dans le style des jardins royaux à la française, priorité étant donnée à la flore locale, avec pour centre d’intérêt majeur, une serre géante Art Nouveau, symbole architectural audacieux de métal et de verre et phare de la cité. On peut aussi s’offrir une évasion au Passeio Publico, le plus ancien parc de Curitiba créé en 1886, où s’épanouissent, dans un cadre forestier, de nombreuses espèces arbustives.
La Ligne verte
La priorité écologique de la capitale du Parana s’exprime dans bien d’autres réalisations, tel son réseau intégré de transports collectifs, le BRT ou Bus Rapid Transit. Des bus extra-longs bi-articulés, appelés ici busao (gros bus) pour leur capacité à accueillir jusqu’à 270 passagers, traversent la cité sans obstacle, dans des sites propres. Un système original de stations en forme de tube facilite la gestion du trafic et la sécurité des passagers, dans des véhicules 100% électriques ou hybrides, priorité étant donnée sur cette « ligne verte » aux biocarburants. Un réseau cyclable complète cette saine ambition.
« Echange déchets contre légumes ! »
La gestion douce des déchets ne démérite pas, via cette fois le Cambio verde ou échange vert. Toute personne peut troquer, en des points situés dans la ville et selon un calendrier précis de ramassages réguliers, des légumes frais, voire des tickets de bus ou d’opéra contre des vieux papiers, des métaux ferreux et non-ferreux, des verres usagés et autres plastiques. Les enfants peuvent recevoir du matériel scolaire, des friandises à Pâques, des jouets à Noël. Par ailleurs, des ramasseurs parcourent la cité et participent ainsi à ce tri sélectif. Quant aux déchets organiques, ils sont compostés pour alimenter les plantations de la ville ou les maraîchages gérés en périphérie par la ville, empêchant du même coup la spéculation immobilière sur ces espaces convoités !

L’Œil du musée Oscar Niemeyer
Cette belle ambiance citoyenne favorise la découverte d’un autre joyau culturel de Curitiba : le musée Oscar Niemeyer ou Musée nouveau, monument emblématique, en forme d’œil, conçu et construit par et pour le célèbre architecte brésilien, et ouvert en 2002.
En déambulant dans les deux bâtiments et les trois étages de salles d’exposition, les amateurs d’art moderne et d’architecture seront comblés. Le rez-de-chaussée et ses neuf salles sont dédiés aux pièces maîtresses de la collection, notamment dans le Patio des sculptures, accueillant des œuvres d’artistes brésiliens tels qu'Erbo Stenzel, Amelia Toledo et Bruno Giorgi, ou étrangers. Frida Kahlo et Andy Warhol y ont aussi exposé. Dans un musée dont le sous-sol présente une exposition permanente consacrée à Oscar Niemeyer, via des photographies et maquettes de ses projets architecturaux qui ont conquis le monde. Curitiba s’avère en tout cas une belle étape pour qui veut poursuivre sur le chemin de la découverte d’un sud brésilien plus qu’enchanteur.
Coup de cœur
En train via la Serra do Mar

La balade en train se réalise en une journée, ou plus si affinité. L’attrait ? La traversée de Serra do Mar qui sépare Curitiba de Paranagua, la cité phare du littoral atlantique du Parana. Logique donc de monter dans le Serra Verde Express qui emprunte les 110 km d’un parcours saisissant. Pour ses paysages d’abord, et la star naturelle locale, la mata atlantica, forêt primaire, tropicale et humide, avec des surplombs vertigineux, des ouvrages d’art aériens, des panoramas grandioses s’ouvrant parfois sur les profondeurs du rio Ipiranga, le tout en un dénivelé de plus de 900 mètres.
Démarré en 1880, le chantier, réalisé en seulement cinq ans, a mobilisé près de 9000 hommes. Bel exploit qui nous vaut aujourd’hui quelques d’aussi éblouissantes émotions ! Aux deux tiers environ du parcours, une halte s’impose à Morretes, une bourgade du XVIIIe siècle posée le long du rio Nhundiaqara et réputée pour sa quiétude, son alcool de banane et avant tout pour son Barreado, une spécialité culinaire du littoral du Parana, héritée des Açores, sous la forme d’un ragoût mêlant viande de bœuf, farine de manioc et riz, le tout accompagné de bananes et d’oranges. Sur le littoral rejoint en bus, Paranagua, fondée en 1549, livre la beauté de ses plages, les activités de son port, Ponto do Sul et le charme un rien suranné de ses quartiers coloniaux.