
Il est là de l’autre côté des jardins, à discuter avec les nuages. Ce caméléon de marbre, incrusté de pierres précieuses et semi-précieuses change sans arrêt de couleur, en fonction de la lumière. Tantôt rose, bleu, violine… Le Taj Mahal, l’une des sept merveilles de monde, ne laisse personne indifférent. Chaque visiteur (ils sont sept millions chaque année) est saisi par l’harmonie, la poésie, l’élégance raffinée que dégage cet édifice d’une symétrie parfaite qui a fait transpirer 20.000 artisans et ouvriers pendant les dix-huit ans de sa construction. Sa silhouette qui réunit le meilleur de l’art indien, perse et islamique est d’abord celle de l’amour. L’amour de Shâh Jâhan pour son épouse favorite Mumtaz Mahal, qui mourut après avoir mis au monde leur quatorzième enfant. Inconsolable, le cinquième empereur moghol fit construire ce mausolée, comme l’ultime preuve de leur passion.
Le Rajasthan est à l’image de ce tombeau. Ces palais sont tous plus féeriques les uns que les autres, témoins du faste, de la démesure et des extravagances des princes rajputs, des empereurs moghols et des maharajas, auxquels l’indépendance de 1947 a mis un terme. Mais jusqu’au bout, les rois de l’Inde ont vécu dans un luxe inouï, en roulant dans des Rolls-Royce en argent massif ou des Lancaster plaqué or. Jaisalmer, Jodhpur, Udaipur, Jaipur, toutes ces villes du Rajasthan sont des décors des mille et une nuits où la légende flirte toujours avec le réel. Avec leurs décors dentelés de pierres d’ocres ou de marbre, des maisons meringuées de bleu, de rose ou de blanc, ces cités pas du tout endormies se nourrissent toujours d’histoires, d’épique et de chevaleresque.
Jaisalmer, l’ancienne cité caravanière lovée au pied de sa fière citadelle rayonne encore du faste répandu par ses riches commerçants. À Udaipur, les palais se mirent dans des lacs parmi la transparence rose des bougainvilliers. À Amber, près de Jaipur, on grimpe à dos d’éléphant jusqu’à une muraille de près de douze kilomètres qui abrite des palais somptueux, des jardins extraordinaires, des portes monumentales. Ces vestiges magnifiquement conservés sont le reflet d’une société d’une grande finesse qui a su, en son temps, faire preuve d’une diplomatie et d’un œcuménisme remarquable, à l’image d’Akbar le Grand qui métissa sa couche d’épouses musulmanes, chrétiennes et indoues !
En dehors de ces palais, le plus grand État de l’Inde est aussi un joli résumé de ce pays continent où les paysans vivent encore au rythme de la traction animale, alors qu’à deux pas, des sociétés informatiques rayonnent à l’échelon planétaire. On est loin des foules miséreuses qui hantent les faubourgs de Calcutta. Ce Rajasthan recèle mille et une histoires ainsi empreintes de symboles et de poésie. Entre une population très avenante et bienveillante et des contrastes étourdissants, richesse-pauvreté, modernité-archaïsme, urbanité galopante-nature luxuriante, cette région de l’Inde où Rudyard Kipling écrivit son « Livre de la jungle », se prête à merveille à des rencontres saisissantes. Dans la cité de grès rose, Jaipur, capitale effervescente avec son marché aux étoffes passant du safran au turquoise, le palais des Vents avec ses 953 fenêtres dit à lui seul tout le charme du Rajasthan. On le savoure en apprenant à le deviner, à travers par exemple le regard nimbé d’empathie de cette jeune étudiante dont le sari pourpre serti de broderies dorées, est assorti à son bindi, ce petit point vermillon sur le front. Le Rajasthan, berceau des guerriers rajpoutes, se livre ainsi par petites touches comme autant de pans de suprêmes petits secrets. On les découvre en scrutant la poésie des mondes extérieurs et intérieurs à travers ces moucharabiehs, ces fenêtres sculptées et à demi-obstruantes où opère une magie diaphane, aux frontières de l’imagination et de la spiritualité.
Mais ce qui domine dans cette région, c’est cette impression d’harmonie : la beauté des femmes, de leurs bijoux, l’adresse des artisans qui travaillent sur le pas de leur minuscule boutique, le fourmillement incessant des Indiens à pied, à vélo, en moto, en rickshaw… Le Rajasthan est un choc sensoriel, une vie de rue brute et sans filtre, hautement épicée, où la religion s’imbrique dans chaque action du quotidien. Le spectacle est permanent, au détour d’une rue où jaillit un éléphant contournant une vache sacrée au milieu de la chaussée. C’est cette permanente dualité entre beauté et dureté qui déconcerte le plus les Européens. Ce mélange des contraires est comme une vague, il finit toujours par vous submerger. Autant dire qu’il vaut mieux se laisser porter qu’aller contre.
Coup de cœur
Le saisissant fort de Jodhpur
Jodhpur, la cité bleue incarne à merveille l’Inde de nos rêve d’enfants. Elle semble surgir d’un conte de fées, mais c’est son fort qui attire les touristes du monde entier. Pour s’y rendre, il faut déjà quitter la ville, sa fièvre, son bazar grouillant, ses ruelles étroites qui fleurent bon encens, les épices, et la rose. Dans ce tourbillon incessant, c’est à se demander s’il n’y a pas plus de vendeurs que d’acheteurs… De la route qui grimpe vers le fort, la ville se dégage peu à peu et le silence grandit. Arrivée au pied du fort, on oublie vite la belle vue tellement il est immense, impressionnant, démesuré, tellement est beau le gré dans lequel il est bâti. Erigé à la verticale d’un piton rocheux qui s’élève à plus de 120 mètre au-dessus de la cité, la forteresse imprenable est ceinturée de 10 km de rempart de 6 à 36 mètres de haut ! Passés les murs, on s’engouffre dans un monde de rampes, de portes monumentales et de remparts, tous à l’échelle des éléphants qui faisaient partie du corps d’armée et dont ne nul ne devait connaitre les détails. De fait, quand cette forteresse fut achevée en 1459, l’architecte fut immolé pour qu’il ne puisse pas révéler les secrets de sa défense. Véritable chef d‘œuvre architectural, ce fort est sans doute le plus beau du Rajasthan. Sur une colline voisine que l’on rejoint en rickshaw, le palais d’Umaid Bhawan fait écho au fort historique de Jodhpur. Edifié à partir de 1929, ce palais de 347 pièces a nécessité plus de 1000 ouvriers pendant 15 ans et par moins de 100 wagons de marbre pour sa construction. Le descendant du dernier maharadja y vit toujours. C’est l’une des plus grandes résidences privées du monde, mais aussi l’autre merveille, plus contemporaine de Jodhpur.