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Jean-Marc Toussaint

La montagne pour guide

# Voyage Nature

# Haute-Savoie

La légendaire compagnie des guides de Chamonix a plus de 200 ans. C’est aujourd’hui encore une référence mondiale en matière d’alpinisme. Dans le sillage de Maurice Herzog et de Gaston Rébuffat, ses guides continuent de mettre la haute montagne à la portée du plus grand nombre. Découverte à travers une course hivernale, au pied du Mont-Blanc.

Ascension vers le plateau de Carlaveyron.

La nuit et le froid s’installent. Il fait -14 °C. François-Éric met une dernière main à l’installation de la tente. Nous sommes à près de 2.200 m d’altitude, sur les hauteurs de Chamonix. Le plateau de Carlaveyron, seulement éclairé par un quartier de lune, a des airs de Sahara. Posé sur une immense mer de sucre glacé, le paysage sculpté par le vent est dunaire. D’une incroyable beauté.

C’est une juste récompense après cinq heures d’effort pour se hisser jusque-là. D’un côté le massif des Fiz qui ferme la vallée de Chamonix. De l’autre, une chaîne montagneuse de 40 kilomètres, parsemée de 28 sommets de plus de 4.000 m. Avec en point d’orgue, le mont-Blanc et l’Aiguille du Midi. Il est 18 h. La nuit a totalement enveloppé la montagne. Pas question d’aller mollir sous la tente à une heure pareille. Nous rechaussons les raquettes et prenons possession du plateau, guidé par le faisceau ténu de nos lampes frontales. Des ombres aussi fantasmagoriques que mystérieuses nous accompagnent. Nous goûtons le plaisir simple de fouler le sol écaillé de neige, ridé de vagues gelées.

Nature pétrifiée

De retour à la tente, François-Éric, membre de longue date de la compagnie chamoniarde, se charge de préparer la soupe en faisant fondre de la neige. Repus, enveloppés dans la chaleur de nos sacs de couchage nous refaisons le monde au clair de lune, avant de tomber dans les bras du fils d’Hypnos. Le lendemain, c’est par le cri rauque d’une perdrix des neiges que nous sommes sortis de nos songes. En reprenant la marche, après un copieux petit-déjeuner, François-Éric raconte l’histoire de la compagnie et détaille les traces d’animaux visibles dans la neige fraîche. Là un bouquetin, ici un renard ou un lièvre blanc. Partout le plateau est habité par la vie sauvage. Partout la montagne se transforme.

« En 40 ans, 30 % de la surface glaciaire des Alpes a disparu du fait du dérèglement climatique, ce qui entraîne une déstabilisation des parois rocheuses », explique le guide, en soulignant l’écroulement de 250.000 m3 de roche dans la face ouest des Drus, il y a quelques années. De quoi nous faire encore plus petits dans cette nature pétrifiée qui nous tolère sans compromis.

Le souffle court, le regard fixé sur les raquettes orangées du guide, je me hisse sur la crête voisine, l’esprit vagabond. Au loin, dans le soleil voilé, les montagnes nues se développent à l’infini, s’enchevêtrent et s’étagent en amphithéâtre depuis les ravins sombres. Le spectacle est grandiose. Dans la pente vertigineuse, nous dévorons fromage, pain et jambon avant de reprendre la marche, un pied devant l’autre. Pour rentrer dans le monde des hommes, loin, très loin de ces pentes d’altitude qui exaltent au cœur de l’hiver, une forme de paix rustique.

200 ans au service d’une passion

Le métier de guide est né avant la compagnie. Des habitants avisés, paysans, chasseurs de chamois ou cristalliers, ont été les premiers à guider des missions scientifiques, puis des touristes avides de découvertes. La conquête du mont Blanc, en 1786, marque le début de l’alpinisme moderne et la professionnalisation du métier. Mais il faut pourtant attendre 1821 pour que soit créée la compagnie des guides de Chamonix.

La première année, ils sont 34 à y adhérer. À l’époque, la principale course consiste à amener les touristes à la mer de glace. Le matériel est rudimentaire. Les crampons n’ont pas encore été inventés. Pour réduire les glissades, les montagnards emballent leurs chaussures de cuir dans des chaussettes de laine ! Mais il faut attendre le milieu du XXe siècle et les livres de Roger Frison-Roche pour que la grandeur du métier de guide et ses exigences se révèlent au grand public. Depuis, cette structure d’excellence n’a cessé de produire des champions qui ont fait sa notoriété partout dans le monde. On ne compte plus les voies ouvertes en Himalaya, dans les Andes ou les Alpes par ses membres. Parmi les plus connus, impossible de ne pas citer Gaston Rébuffat, Lionel Terray ou encore Louis Lachenal qui porta Maurice Herzog au sommet de l’Annapurna. Dans les années 80, c’est Christophe Profit qui enchaînait les exploits. Aujourd’hui, le flambeau a été repris par plusieurs grimpeurs hors pair, comme Yannick Graziani qui a conquis plusieurs 8.000 m en solo, ou encore Vivian Bruchez, le skieur de l’extrême.

Esprit de cordée

Désormais, la compagnie compte 240 membres, principalement des guides, auxquels s’ajoutent une soixantaine d’accompagnateurs en montagne. Véritable référence mondiale de l’alpinisme, la compagnie s’est un peu internationalisée, mais aussi féminisée. Le Chamoniard pur sucre y est devenu largement minoritaire. La seule chose qui reste immuable, ce sont les valeurs de solidarité, de partage et d’esprit de cordée qui animent ses membres.

Aujourd’hui, le mont-Blanc reste une course mythique vendue aux alentours de 1 000 euros pour deux jours et deux clients, mais ce sont les randonnées à pied ou en raquettes qui font bouillir la marmite. Les ascensions les plus difficiles, comme la face nord des Grandes Jorasses, demeurent plus occasionnelles dans l’activité de la compagnie qui se projette également de temps à autre sur d’autres continents, à la demande des clients. « On est là pour partager du plaisir, faire passer des émotions à la découverte de notre jardin montagnard », résume François-Éric Cormier

Coup de cœur

L’aiguille du midi

Sa silhouette est reconnaissable entre toute les aiguilles du massif du Mont-blanc. L’aiguille du midi a été conquise dès 1818, mais c’est en 1955 qu’elle est devenue accessible à tous, grâce à la construction d’un téléphérique qui était à l’époque le plus haut du monde. Cette infrastructure permet de monter sans effort jusqu’à 3777 mètres d’altitude pour jouir d’un des plus beaux spectacles qui soit : un panorama exceptionnel sur les géants de roches, de neige et de glace du Massif du Mont-blanc : les Grandes Jorasses, la vallée blanche, l’Aiguille verte, le glacier des pèlerins avec ses innombrables séracs et autres crevasses. Pour ceux qui n’ont pas encore fait le plein de sensations, deux autres expériences vous attendent au sommet. Tout d’abord en pénétrant une boite en verre suspendue dans le vide ou encore en empruntant le panoramic Mont-blanc, une cabine qui rejoint la pointe d’Helbronn en Italie en survolant les glaciers. En été, mieux vaut partir dès l’ouverture à 7 h : il y a moins de monde et la lumière est sublime. Ouverture du téléphérique de début mai à début novembre. A partir de 57,50 euros par personne. Réservation obligatoire. Possibilité de redescendre à pied. Plus de renseignements sur www.montblancnaturalresort.com

Infos pratiques

Quand partir ?

  • La haute montagne n’a pas de saison. Elle se pratique autant en été qu’en hiver. Certaines courses de très haute altitude sont inenvisageables en hiver en raison des températures très basses, des murs de glaces ou d’autres obstacles difficilement franchissables pour des alpinistes amateurs. A contrario, le fort risque de chutes de pierres sur certains secteurs constitue un frein à d’autres courses estivales. La montagne est changeante au fil des saisons, mais aussi au quotidien. Ce qui implique une adaptation permanente et le nécessaire recours à des professionnels.

Faut-il être un grand sportif ?

  • Pas forcément. La compagnie des guides propose des courses de difficultés variables : des randonnées glaciaires de plusieurs jours avec nuit en refuge mais aussi des balades à la journée avec découverte de la flore locale. Dans tous les cas, une condition physique de base est requise (être capable de courir 30 minutes sans s’arrêter ou marcher pendant au moins 3-4 heures).
  • Plus de renseignements à la Maison de la montagne, 190 place de l'Eglise à Chamonix. Tel04 50 53 00 88 ouwww.chamonix-guides.com/fr
La montagne pour guide
Un reportage de Jean-Marc Toussaint