
Un amas de raphia en forme de pyramide, coiffé de cornes de buffle tourne sur lui-même. C’est la divinité de Toffa, le premier roi de Porto-Novo. Face à lui, il y a Agbandédé. Même aspect, mais raphia d’une autre couleur. Autour, les villageois observent le rituel. Quelques-uns dansent au rythme du tam-tam et du kankangui. Puis Toffa s’immobilise. Délicatement, le maître de cérémonie renverse la divinité pour bien montrer qu’elle n’abrite aucune créature humaine. Bref, que ce sont les esprits qui la font se mouvoir. Un tour de magie qui a le don le galvaniser les croyants. Cette danse des fantômes a été préconisée par un prêtre Fâ pour chasser les mauvais esprits du village d’Hêvé sur la rive gauche du fleuve Mono, dans le sud du Bénin. C’est ici le berceau de la religion vaudou, un monde où agissent, selon la croyance, des ancêtres divinisés et de fortes puissances cosmiques qui vont aider à conjurer le mauvais sort ou à s’assurer la bienveillance des figures tutélaires du panthéon local.
Dans ce petit État d’Afrique de l’Ouest, ces rituels séculaires résistent encore aux assauts de la modernité et fascinent les rares touristes de passage. Ils sont justement six « yovo » (les blancs en langue fon) à quitter la cérémonie en pressant leur guide de questions. Ces voyageurs sont venus ici pour approcher l’Afrique authentique et tenter de comprendre les rouages d’une société patriarcale complexe. Ils sont partis de Lomé, au Togo, une semaine plus tôt, juchés sur d’increvables mobylettes indiennes. Dans ce cortège pétaradant, il y a le guide toujours en tête, et à l’arrière l’indispensable « docteur mob », un mécano tout terrain capable de redonner vie à n’importe quelle mécanique prête à rendre l’âme. Et puis plus loin encore, le fourgon suiveur, une sorte de voiture-balai avec les sacs des voyageurs, les tentes, les matelas, les provisions, la cuisine et le cuisinier qui va avec. Bref, tout ce qu’il faut pour vivre une épopée hors norme, loin des sentiers battus.
D’autant que la mob est comme un sésame qui ouvre grand les portes de l’aventure. Avec cette machine, on peut s’arrêter où et quand on veut. Et surtout, la vision à 180 degrés est bien meilleure que derrière les vitres d’un 4X4. Sans compter qu’ici, un blanc monté sur « un cheval de fer » génère naturellement un courant de sympathie. De fait, le long des routes ou des pistes en latérite, les sourires s’affichent, les mains se tendent, les bienvenus fusent.
Pêcheurs à l’épervier
Partout la vie grouille, bouillonne. Le petit marché, l’artisan qui martèle le fer, la livraison d’eau au village, la récolte de coton sont autant de prétextes aux arrêts, aux rencontres. Les nuits se passent dans les villages au contact direct des populations, quelques fois dans la cour de l’école. Ce qui permet au petit matin d’assister au lever des couleurs, aux chants collectifs des élèves et au début de la classe.

À ce rythme, les étapes sont forcément réduites (en moyenne 50 km par jour). Le soir venu, en sirotant une bière locale, le voyageur se remémore volontiers ses souvenirs du jour. Et les images défilent, se mêlent. Ici c’est un oiseau coloré qui s’envole au-dessus de la forêt tropicale d’où émergent baobabs et kapokiers, là c’est le partage du vin de palme avec un chef de village. On s’émerveille de la dextérité des pécheurs à l’épervier sur le lac Doukon, on chemine à pied dans les plantations de caféiers…
Le voyage tire à sa fin. Il reste à découvrir la ville lagunaire de Ganvié, la Venise de l’Afrique, une cité fondée il y a 300 ans par des populations se cachant dans les marécages de la prédation des esclavagistes. Ici, autour des maisons sur pilotis, tout se fait en pirogue au raz de l’eau saumâtre. Seuls subsistent quelques ilets où se concentrent les rares têtes de bétail. Car c’est bien la pêche qui fait vivre les populations.
L’ultime étape du voyage est un prolongement naturel de cette histoire aux racines effrayantes. Ouidah, la ville symbole de l’esclavagisme au Benin, « cette porte du non-retour », allusion à l’arche posée sur sa plage qui commémore le déchirant exode vers les Amériques de nombreux habitant de l’ex-royaume du Dahomey. Sur les 11 millions d’africains déportés, près de deux millions sont partis du Bénin, notamment de ce port de Ouidah. Français, anglais et portugais notamment se sont livrés au commerce des esclaves, y compris après l’interdiction de la traite négrière, puisque c’est en 1863 que partit le dernier navire pour Cuba. Le musée d’histoire de la ville consacre une partie de ces collections à la mémoire de l’esclavagisme.
Une fois tournée cette page d’histoire, la piste s’ouvre à nouveau aux chevaux de fer pour un ultime galop, dans la moiteur de la plaine béninoise où s’épanouit un peuple simple, rieur et d’une grande authenticité.
Coup de cœur
L’iroko de la terre promise
Les Kotafons sont une ethnie basée dans le sud-ouest du Benin, mais originaire de la région Atlantique qui englobe Cotonou, la capitale mais aussi Ouidah, haut lieu de la traite négrière. Et c’est justement pour fuir l’esclavagisme que les Kotafons ont quitté la terre de leurs ancêtres au XVIIIème siècle. C’est le roi Totoh qui pris cette initiative, après avoir consulté l’oracle Fa. Les kefatons devaient partir et s’installer à proximité d’un gros iroko pour retrouver la paix. Au terme d’un long exode, trois irokos correspondant à la description avaient été identifiés, mais l’oracle Fa désigna le 3ème. C’est là que cette ethnie fonda la ville de Lokotinsa qui signifie « sous un iroko » en langue Kotafon, avant d’être rebaptisé plus tard Lokossa (ville de l’espérance). Aujourd’hui, les kotafons sont 150 000 au Benin et beaucoup vivent dans cette région de Lokossa. L’iroko de la terre promise existe toujours. Il est tout proche de la mairie et une statue a été érigée près du collège de la ville en mémoire du roi Totoh. Les kotafons ont conservé une vie très traditionnelle et ils continuent à consulter l’oracle, notamment lors de la cérémonie de purification du yé qui se déroule chaque année au mois d’août.