
En Australie, la route est une aventure. Nous quittons Darwin, la capitale du Territoire du Nord. Détruite par l’aviation japonaise en 1942, puis par le cyclone Tracy en 1974, la cité étire sa prospérité retrouvée vers le sud. Au fil des kilomètres, les constructions se font de plus en plus rares jusqu’à disparaitre totalement et laisser place au bush, ce mélange de broussailles, d’arbustes d’escarpements rocheux où se mêlent ici et là des termitières dont les plus imposantes dépassent les six mètres de hauteur. Sur l’asphalte, la circulation s’étire encore davantage. Nous croisons quelques camions longs de 45 mètres qui tractent jusqu’à quatre remorques ! La démesure est aussi une question d’adaptation. Les panneaux indiquent la prochaine ville, Alice Springs à 1493 kilomètres. Ici plus qu’ailleurs, il faut rentabiliser les déplacements.
En quelques bonds agiles, un kangourou franchit le bitume. Le feu n’est pas loin. Un panache blanc de fumée apparait devant nous. C’est « un feu froid » allumé à contre vent pour brûler les herbes sèches. Le feu avance doucement, passe et s’éteint de lui-même. Cette technique douce permet d’épargner les arbres. Elle favorise la régénération et permet aux hommes et aux animaux de tirer parti de ressources naturelles plus abondantes.
Liens avec les esprits
Depuis des millénaires, les paysages sont façonnés par cette utilisation du feu. Pour les aborigènes, c’est aussi une question de culture. « Prendre soin de la terre et de la vie sauvage est fondamental. C’est une responsabilité que nous transmettons de génération en génération » explique Shaun Namamyilk, notre guide aborigène. Avant d’allumer un foyer, les aborigènes ont joué du didgeridoo, un instrument de musique composé d’un long tube d’eucalyptus creusé par des termites et dont les vibrations (la voix du vent) sont supposées faire le lien avec les esprits.
Ces hommes sont des héritiers de la plus ancienne culture du monde. Ce peuple premier venu d’Asie du sud-est il y a 60 000 ans s’est construit bien avant que les Homo sapiens n’atteignent l’Europe. Depuis la colonisation britannique du XVIIIème siècle, la civilisation aborigène s’est en partie désagrégée. Elle reste cependant forte. Ces peuples se sont adaptés à la modernité, mais leur rapport à la nature est resté intact.
Dans ce territoire du nord, grand comme deux fois et demi la France, mais peuplé par seulement 270 000 habitants, les aborigènes représentent près d’un quart de la population. C’est beaucoup plus que dans le reste de l’Australie où les peuples premiers pèsent à peine 4% des effectifs du pays. Le territoire du nord est donc un territoire aborigène, mais ce n’est pas le seul. Il y a aussi des aborigènes dans le Queensland, dans les Toores, en Tasmanie… L’organisation de ces quelques 250 communautés très éloignés géographiquement les unes des autres varie beaucoup. Leurs langues, leurs traditions, leurs croyances sont différentes. Difficile dans ces conditions de parler de la culture aborigène.
Le parc national de Kakadu
Ces peuples ont toutefois en commun « une puissante connexion à la nature, et une spiritualité liée à la terre et au cosmos. Les blancs changent sans arrêt le monde pour l’adapter à leur vision fluctuante de l’avenir, quand les aborigènes mobilisent toute leur énergie pour laisser le monde dans l’état où ils l’ont trouvé » rappelle l’un d’eux.

Vingt-quatre heures ont passé. La route a laissé place à une piste poussiéreuse. Nous avons sillonné le parc national de Kakadu, le plus grand parc d’Australie, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1981. Un parc aux paysages sauvages et aux contrastes saisissants où il n’est pas rare de croiser des buffles, des dromadaires sauvages, ou des wallabies. Nous sommes désormais à Injalak Hill, une montagne sacrée pour les aborigènes située dans Arnhem Land, au pied du village de Gunbalanya.
Ce territoire de plusieurs milliers de Km2 connu pour ses majestueuses lignes de falaise de grés a été restitué comme d’autres aux aborigènes par l’Etat australien. Ce sont eux qui l’administrent. Pour s’y rendre, il faut une autorisation, un permis. Et encore certains sites sacrés ne sont pas autorisés aux étrangers. En arrivant sur la montagne, notre guide salue à haute voix les arbres, les pierres et ses ancêtres.
Une terre sacrée
« Pour les aborigènes, la terre est sacrée. Les pierres, les animaux, les hommes, l’eau ne font qu’un. Il constitue un ensemble où chaque chose est reliée à l’autre. Et chaque lieu qu’ils ont fréquenté conserve la trace de leur esprit. Pour eux, tous leurs ancêtres, ces forces de la création sont là, présents. Ils observent les vivants pour les guider. D’où le lien spirituel et mystique extrêmement fort qui existe entre ces peuples et leur lieu de vie » explique David Mc Mahon, guide pour Venture North.
Cette montagne est connue pour ces peintures rupestres qui racontent l’origine du monde, les légendes, les lois spirituelles aborigènes. C’est ce que nous sommes venus voir. Réalisés sous des abris de roche, elles montrent aussi des animaux aujourd’hui disparus comme le Thylacine, ou d’autres en voie d’extinction comme la tortue à nez de cochon ou le crocodile marin.
La peinture aborigène reste un moyen d’expression encore très présent dans l’Australie contemporaine. C’est aussi et toujours un moyen de maintenir le lien entre les vivants et les ancêtres, alors que la danse et la musique célèbrent davantage leur relation intime avec la terre. Mais qu’ils chantent, qu’ils dansent ou qu’ils peignent, les aborigènes nourrissent aussi leur rêve, le fameux « Dreamtime », une philosophie qui leur est propre pour trouver la paix et l’harmonie.
Coup de cœur
La péninsule de Cobourg
La péninsule de Cobourg, située en territoire aborigène est une frange côtière qui arbore de larges étendues de mangroves. On peut y observer des dauphins, des tortues, mais ne comptez pas vous y baigner. Les eaux turquoises du littoral sont infestés de requins et de crocodiles marins. Sur cette terre du bout du monde, à moins de 400 km du Timor, Venture North a installé un camp perdu au bord de l’eau, dans une épaisse forêt tropicale. Le premier village est à 80 km et il n’y a évidemment pas de réseau, ce qui permet de se reconnecter pleinement à la nature. Ce camp qui peut accueillir au maximum 16 personnes n’a ni eau courante, ni électricité, mais le confort est bien là. L’éclairage est assuré par des panneaux solaires et l’eau de la douche est collectée en forêt. Les tentes sont montées sur pilotis et comprenne toutes des lits en dur et des toilettes sèches séparées. La cuisine est assurée matin, midi et soir par un chef installé sur place.
Ce camp géré par Venture North organise par ailleurs pour les visiteurs des sorties en bateau, des parties de pêche, mais aussi la visite des ruines de Port Essington qui témoigne de l’implantation de la première colonie britannique en 1838. Venture North est par ailleurs une agence de voyage qui propose des circuits en 4X4 dans toute la région du Territoire du Nord. Plus de renseignements sur www.venturenorth.com.au