
Dans les contreforts du massif Tomorri, sur un lopin de terre grand comme un mouchoir de poche, un homme, le dos courbé, retourne le foin au râteau. Son cheval l’attend dans un coin du pré, prêt à porter sur l’échine et jusqu’au prochain village, ces ballots d’herbe qui nourriront les quelques vaches de la maisonnée, l’hiver venu.
Ici en Albanie, le monde rural est figédans le passé. Le recours à la mécanisation reste marginal et le travail de la terre se fait encore manuellement. Seule la traction animale vient en soutien à ces paysans d’un autre âge. On se croirait dans le sud de l’Italie au début des années soixante.
Cette situation atypique sur le vieux continent est en grande partie liée au régime qui a sévi ici de la fin de la seconde guerre mondiale jusqu’au début des années 90. L’Albanie était alors aussi fermée que l’est aujourd’hui la Corée du Nord. Personne ne sortait du pays et l’essentiel des richesses était englouti dans la protection des frontières. Durant toute cette période le modernisme ne s’est pas invité. Le développement du tracteur dans les années cinquante qui a explosé partout en Europe n’a pas eu cours sur ce pays grand comme la Bretagne, ceinturé d’un côté par la Grèce, le Kosovo, la Macédoine et le Monténégro et de l’autre par la mer adriatique.
Ce retard qui pénalise grandement la production est en train de devenir un atout. Cette agriculture éloignée du productivisme, sans intrants chimiques, sans graines bricolées, sans excès d’antibiotique fournit des produits d’une qualité sans égal qui ont grandement disparu en Europe occidentale. Si elle parvient à structurer ses filières, l’Albanie pourrait bien devenir à terme ce pays de cocagne du bon gout et des saveurs oubliées dont raffole la haute gastronomie. A condition toutefois qu’elle réussisse à conserver sa jeunesse en son sein. Au cours des 20 dernières années, le pays a perdu près de 40% de sa population. Les Albanais se sont exilés massivement, notamment vers l’Italie et la Grèce. Ce monde rural contraste de façon saisissante avec la vie bouillonnante de Vlora, une station balnéaire située à 60 km de là. Dans cette ville, la 4ème du pays, les boutiques, les restaurants rivalisent de modernisme sur le front de mer. Ce fossé entre ville et campagne est aussi l’une des autres singularités de l’Albanie, sans équivalent en Europe.
Berat, la blanche
Retour dans le massif de Tomorri, un pied devant l’autre en transpirant à grosses gouttes. Cette montagne est sacrée pour les Bektâchî, une branche de l’islam qui adopte les préceptes du Coran, associés aux commandement de la bible. L’un de ses leader spirituel, Baba Tomorri est d’ailleurs enterré au somment de la montagne qui se transforme tous les ans, fin aout en vaste lieu de pèlerinage. On l’aura compris, l’Albanie dominée cinq siècles durant par les Ottomans est majoritairement une terre d’islam. Catholiques et orthodoxes y sont néanmoins très présents, ce qui donne l’image d’une mosaïque confessionnelle apaisée où les pratiques se côtoient sans heurts.
L’autre intérêt de l’Albanie, ce sont ces vieilles villes grecques, romaines, byzantines. On ne se lasse pas de déambuler dans Berat dont les maisons blanches ottomanes percées de multiples fenêtres descendent en terrasses jusqu’au fleuve. La ville qui a 2400 ans est un joyau classé au patrimoine mondial de l’Unesco, tout comme Gjirokastër qui abrite des maisons fortes uniques dans le pays, chapeautés par une citadelle admirablement bien conservée.
Au cœur de cette montagne des Balkans, l’Albanie reste un pays sauvage, une civilisation étonnante entre orient et occident, riche de coutumes ancestrales et d’une langue très ancienne héritée des Illyriens, mais qui ne s’apparente à aucune autre. Né il y a une petite dizaine d’années, l’intérêt touristique pour l’Albanie ne cesse de croitre. La majeure partie des touristes sont d’abord attirés par la riviera et les villes historiques. Il n’y a en revanche quasiment personne sur les sentiers de randonnées à l’intérieur des terres.
Coup de cœur
Une cuisine de grande qualité
On mange très bien en Albanie. C’est bon et copieux. Les produits issus d’une agriculture de petites mains y sont de très grande qualité, ce qui constitue la base solide de cette cuisine méditerranéenne aux influences grecques, italiennes et turques. Ici tout repas commence par des mezzés (olives, fromages cuits, houmous, tizzaki, poivrons farcis, ferge (une sorte de purée faite de tomates, de poivrons et de ricotta) sans oublier le byrek, une tourte réalisée avec de la pâte filo et farcie avec du fromage, des épinards ou de la viande. Sur le littoral, on mange du poisson et des fruits de mer tandis que l’arrière-pays est davantage porté sur la viande, souvent cuite dans des récipients de terre cuite, mijotée avec des aromates, de la farine, du yaourt, des oeufs battus. Ce que les Albanais appellent le « tavé ». Au dessert, c’est l’Orient qui domine avec des gâteaux à base de noix, de miel, des beignets ou encore le trilece, un gâteau aux trois laits (lait classique, crème et lait concentré).