
Encore un lacet d’avalé. J’ai les jambes en feu et le souffle court, mais aucun signe de fatigue. Il faut dire que l’apport du vélo électrique contribue à ma relative fraîcheur. Mes compagnons de fortune affichent la même mine réjouie. La fée électricité est passée par là. Elle nous a portés sur les portions les plus raides. Voici 8 km que nous grimpons avec nos chevaux de fer sur les pentes de l’Albula. La vallée de l'Engadine et la très chic station de Saint-Moritz sont déjà loin.
Dans mon dos, les sommets du massif de la Bernina s’illuminent par la trouée de Pontresina. L’Italie n’est pas loin. Une vingtaine de km à vol d’oiseau. Encore quelques efforts et je serai au sommet de ce col mythique de la région des Grisons, perché à 2312 m d’altitude. Déjà à l’époque romaine, cette voie historique servait à faire commerce. Cette fois, l’Albula Hospiz est en ligne de mire. Cette auberge du XIXème siècle est la seule construction plantée dans ce décor naturel grandiose que les marmottes ont colonisé. Leurs cris stridents déchirent le silence enveloppant. C’est un signal d’alarme. Notre présence est source de danger. Les rongeurs qui se chauffaient la fourrure au soleil détalent dans leurs terriers.
9500 mètres de dénivelé positif
Petite pose au sommet, sous le drapeau suisse et nous plongeons dans la descente en direction de Bergun, un joli village dont plusieurs maisons sont décorées de sgraffites,ces dessins gravés dans la chaux. Par endroit, le compteur affiche 55 km/h. Heureusement que j’ai pensé à enfiler un coupe-vent sur mon maillot détrempé. Les lacets se succèdent. Le pilotage requiertune attention toute particulière. Ce n’est pas le moment de plonger dans le ravin ! En cette fin du mois de juin, difficile d’imaginer que cette route est fermée durant tout l’hiver et qu’elle se transforme en piste de luge. Et Pourtant.
A Bergun, là où fut tourné le film Heidi, c’est en train que se poursuit l’aventure. Le Glacier Bike tour à cet avantage de longer la ligne ferroviaire du Glacier Express, le chemin de fer le plus spectaculaire des Alpes Suisses qui concentre 291 ponts et 91 tunnels sur moins de 300 km ! Plusieurs tronçons sont classés au patrimoine mondial de l’UNESCO : les tunnels hélicoïdaux de la vallée de l’Albula, mais aussi le viaduc de Landwasser qui sont autant de témoignages du génie civil des pionniers du chemin de fer. Bref, si le Glacier bike tour peut se faire intégralement à la force des mollets, il n’est pas inintéressant d’alterner train et vélo.
De fait, ce parcours cycliste de 370 km en 10 étapes, dessiné en 2024 entre Saint-Moritz et Zermatt relie pour l’essentiel des itinéraires qui existaient déjà. Il emprunte des routes de montagnes, des chemins en gravier et des sentiers plus étroits. Il est donc praticable exclusivement avec un e-bike, un VTT ou un Gravel. Est-il pour autant accessible à tout un chacun ? « Le degré de difficultés technique est faible pour les vététistes expérimentés, mais élevé pour les cyclotouristes classiques » résument les promoteurs de ce circuit. En d’autres termes, il convient d’avoir quelques notions de pilotage, mais aussi une condition physique correcte pour absorber les 9500 mètres de dénivelé positif du parcours. Et ce, même si vous avez le soutien inconditionnel de la fée électrique !
Le seul phare des Alpes
Au fil du chemin, le cycliste franchit trois cols (l’Albula, la Furka et l’Oberalp). Il traverse des paysages de montagne peignés avec soin, emprunte des ponts romains historiques, perce des forêts de mélèzes, des forêts d’aulnes, des forêts alluviales. Il gravit les pentes du Piz Danis, pédale autour de lacs aux eaux cristallines, passe le long du Rhône encore bondissant, caresse du regard son glacier fondant. Il traverse des pentes verdoyantes, franchit des torrents furibonds avant de découvrir incrédule au col de l’Oberalp, le seul phare des Alpes, clin d’œil au long chemin qui attend le Rhin naissant pour atteindre la mer du Nord. Puis, il longe les gorges du fleuve, cet autre grand canyon, résultat d’un éboulement herculéen survenu il y a près de 9500 ans. Une masse rocheuse de 11 km3 a alors enseveli le Rhin antérieur, créant en amont un lac de 25 km de long. Le fleuve s’est peu à peu frayé un chemin à travers les éboulis, formant ces gorges profondes avec leurs parois abrupts dépassant par endroit les 300 mètres de haut.
Plus en aval, il n’est pas rare de voir des orpailleurs, les pieds dans l’eau, une battée à la main. Le Rhin est en effet l’un des principaux cours d’eau aurifère d’Europe. Le parcours traverse également des alpages où paissent des vaches Hérens, typiques du valais. Il sillonne le haut plateau de Conches, le parc national de Binntal, pénètre des petits villages magnifiques (Blitzinger, Ernen, Muhlebach, Niderwald, Valendas et sa monumentale fontaine en bois…). On y retrouve à chaque fois d’anciens chalets en épicéas, recouverts de tavaillons, d’ardoises ou de lauzes. Chemin faisant, à Visperterminen, le cycliste surplombe un vignoble planté en terrasse qui culmine à 1150 mètres d’altitude. C’est le plus haut d’Europe.
Encore quelques coups de pédales et nous voilà à Zermatt, une station sans voiture dominée par cette montagne pyramidale à nul autre pareil : le Cervin illuminé par les rayons blafards d’un soleil couchant.

Glacier bike tour mode d’emploi
De Saint-Moritz à Zermatt en passant par Andermatt, le glacier bike tour traverse la Suisse en 10 étapes sur 370 kilomètres et 9500 mètres de dénivelé positif. L’itinéraire, accessible de juin à octobre, traverse trois cantons (les Grisons, Uri et le Valais) et franchit trois cols. Le parcours n’est pas balisé. En revanche, il figure en ligne sur SuisseMobile et sur la plateforme de Kommoot. Les différentes étapes peuvent y être consultées, téléchargées ou imprimées.
Cet itinéraire peut être réalisé en e-bike, mais aussi en VTT et en Gravel, sans assistance électrique. Si vous faites le circuit en e-bike, prévoir des batteries d’au moins 625 Wh. Les étapes ont été construites pour permettre aux cyclistes de profiter de leur séjour, pour faire des visites, prendre le temps de savourer les paysages, mais il est tout à fait possible de faire des étapes plus longues ou de ne faire qu’une partie de l’itinéraire ou encore d’alterner le vélo et le train.
Dans ce cas de figure, il convient d’acheter un billet pour chaque passager et un autre pour chaque vélo. Entre Saint-Moritz et Zermatt, il n’existe pas moins de 53 gares. Il est donc très facile d’emprunter le train, y compris sur des portions très courtes. Mais attention, vous emprunterez uniquement les trains classiques. Le Glacier Express avec ses vitres panoramiques n’est pas accessible aux vélos.
Eurotrek (www.eurotrek.ch) est un tour opérateur qui peut vous fournir un road book, réserver vos hôtels, fournir des vélos électriques et transporter vos bagages d’un hôtel à l’autre. Il est aussi possible d’organiser soit même le voyage, mais il faudra dans ce cas soit transporter vos bagages dans des sacoches à vélo, soit les faire transporter jusqu’à votre prochain lieu d’hébergement. A noter que vous pouvez également recourir à des guides pour vous accompagner sur une ou plusieurs étapes.
Coup de cœur
Le Cervin, la montagne sublimée
Le Cervin est la montagne par excellence. Une montagne qui ne ressemble à aucune autre, magique, solitaire, qui s’élance d’un seul jet vers le ciel.
Beaucoup y voient une pyramide, « un obélisque triangulaire taillé au ciseau ». Peut-être est-ce lié au charme exotique de son origine. Car le Cervin est africain ! Sa partie sommitale, qui culmine à 4478 m d’altitude, est en effet constituée de roches cristallines qui correspondent à des fragments du socle géologique de l’Afrique, remontés à haute altitude au moment de la formation des Alpes. Le Cervin, ou Matterhorn en allemand, « est la plus grandiose créature du monde. Elle a la fascination d’une femme et la puissance d’un géant », écrivait Théophile Gautier.
Un musée pour une montagne
De tout temps, cette montagne pas comme les autres a aimanté les hommes. Sa face nord, réputée la plus difficile des Alpes avec celle de l’Eiger et des Grandes Jorasses, a été conquise sur le tard en 1865, soit près de 80 ans après le mont Blanc.
Dans la station suisse de Zermatt impossible de lui échapper où que vous soyez. On le voit partout. Le matin, il est le premier sommet à s’illuminer du rose-orangé du soleil naissant. Et dans la ville, il désigne quantité de magasins, de restaurants, d’hôtels. Son image est omniprésente : sur les forfaits de ski, sur le logo de la marque Ricola… Et pas uniquement en Suisse. Le Matterhorn Bobsleds est même une attraction de Disneyland.
Si cette montagne vous fascine, ne manquez pas le musée du Cervin implantée sous un toit de verre à côté de l’église de Zermatt. On y raconte notamment sa conquête tragique en 1865. En contrebas, dans un quartier des vieux chalets, trône une fontaine en bronze construite en hommage à Ulrich Inderbinen, l’homme qui a gravi le Cervin à 371 reprises. La dernière fois, il avait 90 ans.