
Un volcan, le Guagua Pichincha, veille sur la ville du haut de ses 4776 mètres. La Vierge n’est pas en reste, la dominant, protectrice, sur la colline du Panecillo. D’autres reliefs, comme Itchimbia, enserrent Quito qui, à 2818 mètres, a pris ses aises dans cette « cuvette » andine dès l’arrivée des Conquistadores en 1534. Berceau de cultures précolombiennes, l’ex cité inca renaît alors de ses cendres, pour s’imposer aujourd’hui comme « l’un des centres historiques les plus étendus et les mieux conservés de l’Amérique espagnole », dixit l’Unesco qui l’a déclaré dès 1978 « patrimoine mondial de l’Humanité » pour son architecture coloniale.
Syncrétisme et métissage
La première émotion naît de l’harmonie qui se dégage de ces espaces dessinés par l’histoire et toujours ouverts à la vie. Sur la place San Francisco, des maisons coloniales à balcons font face à l’église et au monastère du même nom, le plus grand ensemble conventuel des Amériques, édifié de 1550 à 1680. L’étendue n’est en rien démesure. Elle invite à la flânerie, voire la méditation. Hier les peuples autochtones y faisaient leur marché, les Franciscains bâtisseurs se promettaient de les évangéliser. Il se dit qu’un pavé manque, « pour ne pas vendre son âme au diable ». Il se dit aussi que la largeur des escaliers grimpant vers le porche de la basilique obligeait le visiteur à courber l’échine ! Il n’en faut pas moins relever la tête pour découvrir ce savant mélange des décors ornant la façade vénérable : des statues de saints et des soleils inca y sont sculptés. A l’intérieur, des motifs « indigènes » côtoient des iconographies catholiques, expression du métissage et du syncrétisme qui a fait la renommée de « l’école de Quito », dès 1552 jusqu’au XVIIIe siècle. Et dont le centre historique de la capitale de l’Equateur- ses édifices religieux notamment - regorge.

Les mille églises de Quito
Aujourd’hui, une rumeur paisible résonne sur le pavé, des pigeons volent, des enfants s’extasient, une vieille andine propose quelques fleurs à des passants indolents, une sage et longue queue s’est formée à l’arrêt du bus qui mènera ses passagers indigents à la Olla comun, la soupe populaire. A deux pas, sur la Garcia Moreno, l’ancienne rue des Sept croix, l’animation s’intensifie. Les marchands ont toujours adulé les temples. Avec ses mille églises, Quito n’y échappe pas, qui plus est là où se concentrent trois de ses églises historiques : la première, la Compagnie de Jésus fut bâtie au XVIIe par les jésuites. Fresques, décorations, ornements dorés ou bois sculptés : le baroque respire la créativité latino-américaine. La seconde, l’église El Sagradario (le sanctuaire) fleure bon les effluves de Palo santo, le bois sacré de toujours.
La troisième, la Cathédrale métropolitaine illumine la place de l’indépendance, la Plaza Grande ombragée, que se partagent les autres pouvoirs : le Palais présidentiel de Carondelet, le palais archiépiscopal, où, à l’entrée d’un magnifique patio, une mosaïque aligne au sol des vertèbres de vaches, symbole, dit-on, de protection ! - enfin le palais municipal. Jadis la place procurait l’eau de sa source aux Quiténiens, tout en accueillant des corridas. Désormais sur la place rappelant l’indépendance précoce de l’Equateur qui valut à Quito le surnom de « Lumière de l’Amérique » et célébrant les héros martyrs du 10 août 1809, l’heure est au dialogue entre aînés sur de longs bancs de pierre. La parole circule sans doute sur le temps qu’il fera, l’assassinat, la veille, d’un élu local, la pression des narco-trafiquants, ou l’élection incertaine à venir du futur président de la République.
Floresta, la Cité-Jardin
La ville reprend vite ses droits, avec ses animations de rue, ses restaurants, ses boutiques avenantes arborant des Toquilla, les chapeaux de paille équatoriens, des tissus andins, des peintures naïves, de beaux livres ou des objets artisanaux. La balade se poursuit sans contrainte, sinon l’altitude, jusqu’à la Calle Juan de Dios Morales, mieux connue sous le nom de la Ronda, et ses maisons colorées aux balcons en fer forgé et aux patios mystérieux, typiques du Quito colonial.
Un autre quartier mérite à coup sûr l’attention : Floresta, appelé lors de sa fondation en 1917, la Cité-Jardin. L’environnement est naturel, la touche coloniale, la nourriture excellente et la culture vivante. Des initiatives agrémentent la balade : les boutiques de l’excellent chocolat équatorien, avec visite des ateliers (Paccari ou Républica del Cacao), un cinéma d’art et d’essai Ocho y Medio, et un très original Coffee Shop, Stratto Bodega de Café, l’idée majeure y étant de « vendre du café comme on vent du vin », pour en apprécier les rares variétés et goûts locaux !

Les tresses d’Otavalo
Depuis mars 2023, une ligne de métro traverse la ville et facilite l’approche du centre historique. Un plus certain pour cette métropole d’environ trois millions d’habitants, trop souvent engorgée. La géographie, ses canyons et reliefs, ne favorise pas il est vrai la fluidité. Pour le plaisir, on peut en tout cas s’offrir un panorama sur Quito et ses excroissances urbaines depuis Cruz Loma, à 3 947 m, la station d’arrivée du « telefériQo », après un dénivelé de presque mille mètres, ou depuis la statue de la Vierge sur la colline du Panecillo, la plus haute statue (41 mètres) en aluminium au monde. Une belle occasion de s’ouvrir de nouveaux horizons. Plus ou moins lointains, les environs de la capitale n’en sont pas avares.
Puisqu’il est question de Marie, El Quinche mêle, à une petite cinquantaine de kilomètres de là, vers le nord-est, le blanc immaculé de l’église Notre-Dame de la Présentation aux couleurs vives des images magnifiant la Vierge la plus vénérée d’Equateur. Sur la route d’Otavalo, le brouillard se lèvera alors sur les paysages alternant volcans, lacs et maraîchages, jusqu’à cette ville réputée pour son marché artisanal, ses montagnes et ses tresses. Celles que portent les hommes, les femmes, leur progéniture. Interdiction aux enfants de moins de 18 ans de se faire couper les cheveux, sans autorisation parentale. La tradition le veut. Elle s’exprime également dans les tissus, chapeaux, lainages, ceintures, hamacs et autres bijoux mis en vente tous les jours que fait la semaine sur la bien nommée place des Ponchos. Otavalo n’est pas que négoce. Une forêt d’eucalyptus abrite à trois kilomètres du centre la beauté naturelle des chutes de Peguche, un site dédié aux ablutions rituelles lors de la Fête du Soleil le 21 juin.

L’hacienda de Pintag
Au sud-est de Quito, le village agraire de Pintag annonce la couleur sur sa place centrale : un taureau monumental voisine l’église San Jeronimo. Là aussi, la nature est reine, grandiose même. A plus de 3300 mètres d’altitude, cette haute terre est propice à l’élevage. Une fois les impressionnantes coulées de lave du volcan Sincholagua dépassées, l’Hacienda Pintagro ne dément pas. Brebis de haute qualité, taureaux et vaches de combat, chevaux de race locale mêlée de pur-sang arabe s’y épanouissent dans des paysages époustouflants. Le dépaysement est total. En infusion, avec ou sans alcool, une plante naturelle, le Sumfo, atténue, si besoin, le mal d’altitude. La découverte à pied ou à cheval aide à mieux comprendre le soin porté au bien-être du bétail, et le bonheur des hommes dans une nature préservée. Dans les haies vives entourant les prés croissent des pumamaques, un arbre endémique dont le bois très souple est propice à la fabrication de guitares, de violons, de bandonéons. Bon signe pour mesurer l’harmonie des lieux, et d’un séjour prometteur.
Coup de cœur
Un pied dans chaque hémisphère
En Equateur, les occasions d’honorerl’équateur,traçant, à mi-chemin des pôles nord et sud, une ligne imaginaire autour de la Terre ne manquent pas. « La mitad del mundo » fait recette. A Calacali fut élevé en 1936 un monument de dix mètres. Trois fois plus haut, le plus imposant, érigé à San Antonio de Pichincha, date de 1979. A 47 kms au nord de Quito, le cadran solaire de Quitasato se distingue par une mosaïque circulaire de galets marquant solstices et équinoxes, au centre de laquelle trône un poteau coloré de dix mètres de haut ! On découvre aussi à San Luis de Guachala une sphère de pierre d’un diamètre de 1,80 mètre. A Cayambe, œuvre de l’artiste coréen Yoo Yong-Ho, deux effigies se saluent de part et d’autre d’un petit canal d’eau. Mais ma préférence va sans retenue à NitinanàSan Antonio de Pichincha. Un petit amour de musée interactif, pédagogique, ludique qui met le visiteur en situation. Ici, à la latitude 0°0’0’’, l’eau s’écoule dans le sens des aiguilles d’une montre, et, à quelques centimètres de la ligne fatidique, dans l’autre sens. On peut mettre un pied dans chaque hémisphère, faire tenir en équilibre un œuf sur la ligne magnétique. Bref apprendre et se divertir. Cerise sur le gâteau, ce musée nous instruit davantage sur les civilisations anciennes de l’Equateur : savoir par exemple comment réduire une tête, ou, moins sanglant, mieux comprendre les liens entre les mâts totémiques et Inti, le dieu inca du Soleil… Eclairant !