
Posé dans le Pacifique, au large de l’Equateur, à environ mille kilomètres du continent sud-américain, l’archipel volcanique des Galapagos - 128 îles et îlots - ne trahit pas les origines. Ni de son nom, ni de sa haute réputation naturaliste. Les tortues marines et terrestres, géantes ou pas, à qui l’on doit son appellation, sont plus que jamais présentes. Quant au laboratoire de l’évolution unique au monde qu’en fit Charles Darwin, il reste éminemment vivant. Dès l’accueil à l’aéroport de l’île San Cristobal, le message passe. « Respecte la faune et ses espaces », peut-on lire avant même le contrôle des passeports. Quant à l’interdit, il s’affiche en couleurs, lui aussi. Pas question de faire commerce avec un produit issu de la vie animale ! Qui y songerait d’ailleurs, tant les animaux semblent ici chez eux ? Le rêve de l’enfance devient réalité, dès les premiers pas sur les quais de Puerto Baquerizo Moreno, port de San Cristobal et « capitale » officielle de la province équatorienne des Galapagos. Allongée sur un banc public, une otarie côtoie, détendue, un insulaire plongé, tout aussi décontracté, dans la lecture d’un roman. Un groupe d’iguanes marins se réchauffe sur un rocher face à l’océan, indifférent aux grognements, parfois rugissants, d’otaries en mal de confidences. Ici la vie sauvage prend ses aises. Un constat permanent tout au long de la découverte d’îles à la biodiversité inégalée et protégées par une réserve marine portée en 2022 à 200 000 km2.

Frégates aériennes et tortues géantes
Ce qui vaut sous l’eau vaut sur terre et dans les airs. L’île San Cristobal en témoigne superbement, lors d’une incursion sur les plateaux et reliefs de l’intérieur attirant volontiers des frégates des Galapagos, séduites par les eaux douces du lac de cratère El Junco dominant l’île, à 700 mètres d’altitude. Ces grands oiseaux de mer ne font pas qu’y nettoyer leurs ailes du sel marin. Planeurs des plus habiles, les mâles, gonflant leur poche à gorge rouge, en font le cadre d’impressionnants vols de séduction. Spectacle garanti dans un univers panoramique de toute beauté. A quelques kilomètres de là, après avoir traversé des plantations d’un café endémique, parfumé pour pousser à l’ombre de cèdres géants, les mouvements sont plus lents, mais tout aussi inspirants. Place au Centre d’élevage des tortues terrestres David Rodriguez, appelé aussi Cerro Colorado, la colline colorée, royaume de tortues terrestres géantes qui prendront un jour leur liberté. Immuable autant que puissante, leur présence relativise pour l’heure toute notion du temps et sa marche inexorable, en dépit des obstacles. Bon pour l’esprit ! L’humanité a encore beaucoup à apprendre des autres êtres vivants.
« Les lutins des ténèbres »
Depuis San Cristobal, une escapade vers le sud sur l’île Espanola, à environ deux heures de bateau, renforce ce sentiment. Inhabitée, pour ce qui est des humains, l’île, aride, au climat sec, grouille de vie. Espèce abondant ici, comme l’albatros qui s’y accouple d’avril à décembre, ou le Fou à pieds bleus, les mères Fou de Nasca, attentives à leurs œufs, à leur progéniture au duvet fourni, illustrent cette capacité d’adaptation durable. La rencontre simultanée d’iguanes marins et terrestres confirme. Certains arborent toute l’année des teintes rouges et vertes, ajoutant à l’unicité du lieu où s’épanouissent aussi des tortues géantes, des lézards de lave, otaries et autres faucons endémiques.
Autres îles, autres couleurs, autre saison, autre coloration, les tons sombres dominant souvent, au point que Charles Darwin qui acquit ici ses lettres de noblesse naturaliste se plaisait à nommer ces iguanes « les lutins des ténèbres ». Plus prosaïque est le constat : dans les eaux nourricières chères à ces sauriens, et parcourues par le courant froid de Humboldt, la teinte obscure, en absorbant plus d’énergie solaire, favorise le réchauffement de l’animal au sang-froid. Adaptation là encore !

Iguane jaune et lézard de mer
Les Galapagos abritent en tout cas le seul lézard de mer au monde - Amblyrhynchus cristatus - se composant de plusieurs sous-espèces, vulnérables pour certaines, réparties dans les îles, toutes au mode de vie amphibien et toutes friandes d’algues rouges ou vertes. De quoi agrémenter la découverte ! Y contribue la rencontre d’iguanes terrestres dont le jaune - Conolophus subcristatus - le plus abondant, un herbivore se nourrissant des parties végétatives ou des fruits de cactus, tels que l’Opuntia. 200 000 à 300 000 individus, marins ou terrestres, se partagent ainsi l’archipel.
Figé sur un rocher face aux eaux de l’océan, en compagnie d’un Fou à pieds bleus et de crabes rouges, ou traversant, indolent, une place de sable blanc ; résistant au ressac en s’agrippant grâce à ses puissantes griffes ou se prélassant à l’ombre d’un cactus géant : les séquences se succèdent, au plus grand plaisir de l’observateur qui trouve matière à plus de beauté encore dans le vol d’oiseaux, les paysages d’un autre monde et surtout cette cohabitation, semble-t-il, harmonieuse !
L’espèce la plus rare au monde
Comment ne pas s’émouvoir, sur l’île déserte de Seymour Nord, au large de Santa-Cruz, au cœur même des Galapagos ? Un couple de frégate vit le parfait amour. Capable de voler des semaines durant, sans s’arrêter, un mâle, la gorge gonflée de rouge écarlate, câline sa dulcinée, sur la branche d’un palo santo, l’arbre sacré. Esseulé, un flamant rose passe dans le ciel. Une mouette obscure prend soin de son petit. Voisinant l’île Isabela, la seule à s’étendre sur les deux hémisphères de part et d’autre de l’équateur, le groupe d’îlots Las Tintoreras abrite dans les eaux turquoise de la baie de Puerto Villamil un important site de reproduction d’iguanes marins. Du lichen voile de blanc la roche volcanique. Dans les canaux naturels, aux eaux peu profondes, creusés lors d’éruptions passées, on peut surprendre une tortue de mer en goguette, le sommeil profond (!) de requins de récif à pointes blanches ou encore la silhouette, étrange sous le soleil, d’un manchot des Galapagos, l’espèce la plus rare au monde !

Des ports animés
Plongées avec tuba, virées en bateau, survol aérien, balades pédestres ou en vélo : les îles Galapagos sont à l’évidence sources de plaisirs multiples. Sur Isabela à cinq kilomètres au nord de Puerto Villamil, on peut cheminer sans guide vers le « Mur des Larmes », héritage de l’histoire pénitentiaire de l’Equateur, tout en se perdant dans les beautés vivantes de la côte, ses lagunes intérieures, ses plages de rêve, y faire la causette avec une tortue géante, ou une pause sur la Plage de l’Amour, se mettre à l’ombre d’une mangrove. Les bourgades insulaires de San Cristobal et de Santa Cruz livrent en prime à qui veut leurs animations colorées, gastronomiques, festives, instructives. Avec toujours en toile de fond un iguane marin éternuant son trop plein de sel, une otarie bêlant sur le port, ou encore le grognement d’un pélican. Les poissons comme les humains n’ont qu’à bien se tenir.
Coup de cœur
De Las Bachas à Seymour Norte

Nord de l’île de Santa Cruz. Une fois le canal Itabaca et l’île de Baltra dépassés, l’océan ouvre, en une heure de navigation, la voie de l’île Seymour Nord. L’homme n’y fait que passer, laissant à ses activités et ses rêveries la faune aquatique, aviaire, terrestre. Une mouette obscure, au corps couleur de suie, couve un œuf. L’appétit venant, un iguane terrestre s’acharne sur le coussinet d’un cactus. Plus loin, un pélican esseulé observe, l’air narquois, les frégates occupées à leurs jeux. Deux jeunes lions de mer se divertissent du ressac. Quant à la falaise blanchie de fientes, elle abrite une colonie d’impassibles fous à pieds bleus. Le paysage y est aride, riche en cactus Opuntia, sans se priver des couleurs orangées, parfois rouges de lichens, du sable blanc des plages, du jaune pâle des Palo Santo abritant, dans leurs branches osseuses, les amours aviaires.
La balade est forcément instructive. Sur terre comme dans les eaux riches en poissons, requins de récifs ou marteaux, tortues, raies manta… Elle s’enrichit d’une halte, mon coup de cœur, dans un petit coin désert du nord de l’île de Santa-Cruz, la plage Las Bachas, face aux deux îlots rocheux de Daphné Menor et Mayor. Le sentiment d’extrême liberté prend naissance, quand, une fois débarqué, se dévoile une lagune où reposent un flamant rose et des hérons bleus, dans les traces laissées par les tortues vertes qui trouvent ici matière à nidifier, ou encore l’incroyable vie animant les rochers dont le gris se pare alors des couleurs de crabes, d’iguanes et d’oiseaux pêcheurs.