
L’apartheid n’est plus. Les townships demeurent. Comme dans d’autres grandes villes d’Afrique du Sud, 60% de la population du Cap y résident toujours, partagés entre l’espoir né en 1991 de l’abolition du régime de ségrégation raciale et de conditions de vie toujours difficiles, quoique plus prometteuses. S’y plonger ne peut qu’éclairer sur la réalité d’un pays qui ne manque pas d’attraits naturels et humains, mais n’occulte en rien ces pages d’histoire récente.
Le plus ancien de la péninsule
Le Cap, cité vivante du sud-ouest du pays qui côtoie le cap de Bonne-Espérance - tout un symbole - en fait un élément de l’offre de découverte. L’invite a pour cadre Langa, ou « soleil » en xhosa, une des principales langues du pays après le zoulou. Un autre encouragement à franchir le pas.
Situé dans les Cape Flats, à l’est, le long de l’autoroute filant vers l’aéroport, Langa, qui vient de fêter son centenaire, s’impose comme le plus ancien township de la péninsule. Loin d’être un privilège, le constat a surtout valeur historique. Ne doit-il pas son nom à Langalibalele, roi des AmaHlubi, emprisonné, pour s'être rebellé - déjà - contre le gouvernement de la colonie du Natal, à Robben Island en 1873, là même où Nelson Mandela passa 17 ans (1964-1982)? Une inclination du lieu à la résistance qui s’amplifiera au fil du temps.
Une première galerie d’art
Un arrêt, au cœur même du quartier, dans le très instructif musée Dompas, du nom du laisser passer que devait porter sous l’apartheid tout être de couleur noire dans les zones blanches, est éloquent. Que le bâtiment qui abritait les bureaux de l’Administration des affaires bantoues soit alors devenu tribunal, n’étonnera guère. Les pièces, objets et documents, photographiques ou écrits - lois et actes de l’apartheid - aujourd’hui exposés, illustrent l’absurdité et la violence d’un système, prompt à déclencher les luttes. Y sont ainsi mises en avant les marches de protestation et manifestations, telle la marche anti-pass, dite de Langa, qui réunit le 21 mars 1960 près de 30 000 personnes entre le township et Cape Town et qui se traduisit par des dizaines de victimes abattues, souvent d’une balle dans le dos, par la police.
Aujourd’hui, signe des temps, d’autres mouvements ont cours, conformes à l’intense vie sociale de toujours, quand concours de beauté, concerts, chant choral résonnent, comme hier, dans la nuit. Certains innovent. En témoigne l’ouverture récente du Guga s’Thebe arts & cultural, une galerie d’art, la première du genre dans un township sud-africain. L’ambition ? Rendre l’accès à la culture au plus grand nombre, tout en mêlant l’art du recyclage et la créativité. Bien vu !
Nelson Mandela veille toujours
A l’école maternelle privée Siya Khansiya, dépendant des évangélistes, très présents dans les townships, les 85 enfants de 6 mois à 5 ans ne demandent qu’à s’ouvrir au monde, tout en prenant plaisir à me tenir par la… barbichette. Chants et joie sont de l’instant, au sein d’un établissement coloré et bien entretenu.

Rivalisant avec les paraboles, les couleurs du linge pendu s’affichent aussi sur les loggias courant le long d’immeubles bas. Y pénétrer, à l‘invite d’un locataire, met en prise directe avec le quotidien : la télévision fonctionne, Nelson Mandela veille toujours, l’essentiel est à portée de main, sans place pour le superflu.
Au coin d’une rue, on peut surprendre sur une table de découpe incertaine une pièce de viande bovine en attente. Plus loin, un containeur au jaune défraîchi abrite un salon de coiffure, TS hair salon, des conversations s’improvisent entre deux lavandières, des vieillards rêvassent, assis à l’ombre d’une station de lavage sans client. Une échoppe à l’intérieur obscur, devant laquelle s’agglutine un petit groupe d’hommes désœuvrés, tente de faire concurrence au mini marché voisin. Sur le pavé ? Bric-à-brac, pommes, bananes, oignons et poivrons, et un plus insolite stand improvisé affichant les couleurs du drapeau rasta, une feuille de cannabis en son centre.
Autour d’une bière, la conversation reprend sur les échanges improvisés, instructifs et sans fard, de la matinée, en ce haut-lieu de la résistance à l’apartheid que fut Langa, sur les réhabilitations en cours dans ce township emblématique du Cap, sur les créations des artistes du Guga s’Thebe arts & cultural… Si la météo et les conditions de mer le permettent, une visite à Robben Island, l’île rocher prison, complétera la journée. Cimetière, carrières où s’activaient les prisonniers, cellule de Nelson Mandela, entre autres, sont du programme, lui aussi, saisissant.

Bo-Kaap, le quartier Malay
A cinq minutes à pied du centre-ville, un autre quartier du Cap mérite à coup sûr le détour. Direction les flancs de montagne de Signal Hill et Bo-Kaap, « au-dessus du Cap », selon l’expression afrikaans. Abritant jadis les esclaves musulmans, originaires d’Asie, le quartier Malay vaut par l’exotisme de ses mosquées et surtout de son habitat coloré en diable : jaune vif, bleu intense, vert pomme ponctuent la balade, riche en surprises. Désigné durant l’apartheid comme zone réservée aux musulmans, en vertu du Group Aeras Act de 1950, Bo-Kaap a rejoint désormais les quartiers tendance du Cap, non sans laisser entrevoir, en une mixité architecturale, des bâtisses moins pimpantes. Parmi les haltes conseillées, citons, sur la Wale Street, le musée Bo-Kaap qui propose, entre autres expositions, une plongée dans la vie des premiers colons malais du Cap. Sur la Dorp Street, la mosquée Auwal, la plus ancienne du pays, date de 1794. Également à voir, le cimetière musulman Tana Baru.
Le square des Nobel
Autre escapade plaisante, une flânerie sur le Waterfront, sa vie animée, ses concerts et danses improvisées, ses restaurants et, détail qui n’en est pas un, la découverte du square des Nobel, et les statues des quatre lauréats sud-africains du Prix Nobel de la Paix: Albert Lutuli, Desmond Tutu, FW de Klerk et Nelson Mandela. Excusez du peu !
Il reste alors à rejoindre le Cap de Bonne-Espérance, en une virée symbolique d’une soixantaine de kilomètres qui vous mettra au contact de singes et d’autruches inciviles, comme de paysages grandioses, ou encore les vignobles et les vins de Stellenbosch et de Franschhoek, deux cités au charme et au goût certains. Autant de lumières qui, en dépit des ombres qui ont terni cette superbe région du monde, ne demandent qu’à (re)jaillir.
Coup de cœur
Une guéparde pour complice
Paarl, des vignobles, des oliveraies, les reliefs du Toitskloof en toile de fonds. L’Afrique du sud laisse s’épanouir ici une sorte de petit paradis. Est-il perdu ? Il aurait pu l’être pour les guépards qui, malmenés par l’homme, son expansion, ses pollutions, trouve ici refuge.
Nous sommes à Ashia Cheetah Center qui, dans le cadre idyllique d’une démarche engagée, entend résister au déclin de cette population via la recherche, la conservation, et les soins. Accueillant des volontaires, proposant des vacances-travail, pour partager cette ambition louable, il ouvre aussi le site à la visite. Avec mesure et sous contrôle, documentée, c’est sûr, en une belle opportunité d’approcher le grand et mythique félidé.
Une rencontre d’exception, pour Anilou qui garde en mémoire ce face-à-face rare avec Abby, une femelle sauvée in extremis de la mort, à l’issue d’une césarienne salvatrice. « Ronronnements, yeux dans les yeux, caresses du pelage rugueux - une surprise ! - douceur de l’échange » : l’émotion reste vive. « C’était un privilège de vivre ses instants avec elle, que l’animal accepte mon contact. Ça a été fabuleux.
Etre ainsi aux côtés d’un grand félin te remet à ta place ». Emotion partagée, quoiqu’avec, pour ma part, plus de précaution encore, sous l’œil de toute façon attentif de la soigneuse. « Ni cri, ni geste brusque, pas davantage de lunettes de soleil ou d’accès aux moins de 16 ans », telles sont quelques-unes des consignes. Pour vivre au mieux une expérience harmonieuse dans une ferme différente.